Torres Del Paine, 2ème jour, 15 février.
Les muscles gourds, la silhouette affaissée
par nos p...... de sacs, nous quittons le campamento Seron pour une
marche théorique de six heures. Le paysage n'est pas grandiose mais
il reste plaisant. Nous longeons le lago Paine puis le rio du même nom.
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Martine marche à bonne allure
sur ces reliefs relativement plats. Ses longues jambes démultiplient tellement
sa foulée qu'elle me donne parfois l'impression de n'être moi-même qu'un
nabot essoufflé.Son sac à dos luminescent de 14 kilos la freine un peu,
heureusement. |
Et puisque tout le monde s'inquiète de
mes douleurs de la veille, il me faut bien y revenir. En fait, pendant
les trois premières heures de marche, tout allait bien. Mais depuis
quelques minutes, la douleur revient, lancinante, suraiguë et insupportable
nerveusement. Chaque pas devient un déchirement. Seules les montées
me soulagent car les appuis pédestres y sont plus doux. Mes orteils
gonflés et désormais ampoulés y reprennent un peu d'air. Nous sommes
toujours dans le même champ de coton, euh… pardon... temps de cochon,
et l'étape n'en finit plus. Voilà plus de sept heures que l'on marche.
Aucune trace du refuge Dickson. Martine, un peu usée par mes souffrances
inutiles, traîne désormais avec peine sa petite maison dans la prairie
humide. Haaaaalte ! ! Je n'en peux plus. Affalé dans l'herbe mouillée,
je présente à la voûte céleste mes voûtes plantaires brûlées au 37ème
degré, et implore les Dieux des pieds de toutes les religions d'apaiser
les tourments d'un pèlerin écorché vif. Mais les
Dieux sont sensibles, et je sens fort des pieds. Trois jours de sudation.
Parfum d'ambre patagonienne. Plus abandonné que Moïse, je reprends ma
croisade. Mais qu'ai-je donc à conquérir ? Elle est où ma Jérusalem,
ma Terre Sainte ?
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Ma présente religion est beaucoup
plus prosaïque et peut se résumer ainsi : tête saine sur corps sain, corps
sain sur pieds sains, et pieds sains sur terre saine, sainte si nécessaire.
Une demi-heure plus tard, des hauteurs de notre Sinaï, nous apercevons
le refuge, au fond d'un creux, tranquillement niché au pied d'un lac.
Le petit glacier Dickson se jette dans ce lac. Le site est superbe. "
Oui, mais quand même, ce serait tellement plus agréable sans vent, sans
pluie, et avec 15°C de plus ! " soupire Martine pour la 317ème fois en
trois jours. Car c'est ainsi. L'incontournable beauté de la Patagonie
réside dans cette dernière phrase, souvent conditionnelle, souvent conditionnée
par l'humeur des éléments, l'eau, le vent, la terre, la glace, les nuages. |
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Nous finissons la marche avec deux français,
Didier et Christian, croisés plusieurs fois dans la journée. Didier
trimballe stoïquement cinq kilos de matériel photo. Nous lions connaissance
sur ce thème et finissons les présentations devant une bière Austral
- excellent antalgique - au chaud dans le refuge.
Torres Del Paine,
3ème jour, 16 Février.
Au petit déjeuner, la pupille encore
à la dérive sur un lac cristallin jaunâtre, nous examinons avec circonspection
le story-board du jour. La balade s'annonce champêtre. Sous les bâillements
indifférents de notre bailleur nous chaussons nos maudits godillots
et lui disons adieu. Après quelques minutes de marche, c'est la saint
sylvestre. Des arbres partout. Morts pour la plupart, couchés à terre
par les vents implacables. Nous les enjambons par centaines.
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Les tours du Torres del Paine
se sont délitées dans l'humide humeur patagonienne. Elle se dissimulent
à notre regard. Farouches. Il est vrai que nous sommes situés en contrebas
du massif, adossés contre ses flancs. Pendant de longues heures nous piétinons
l'humus végétal sous une toiture protectrice qui nous emplit d'un curieux
sentiment de claustration morbide. |
Martine se sent à son aise physiquement
mais vacille quelque peu moralement. " Tu penses vraiment, toi, que
nous tirons plaisir de cette galère ? La balance effort/réconfort te
semble équilibrée ? Dis-le moi, sincèrement." Je reste muet car c'est
le type même de question qui n'exige pas une réponse à chaud. Nous jouons
plusieurs heures à saute-sapin, bousille-pieds et casse-colonne. Mon
centre névralgique est surbooké. Nous ne parlons plus beaucoup. Ce n'est
plus vraiment drôle. Les décharges électrocutantes permanentes me font
souffrir et rendent la situation plus insupportable encore pour Martine.
Bon, nous voici quand même au campamento Los Perros . Toponymie très
adaptée au temps de chien qui sévit. Martine me sert une goutte de Pisco
Sour. Cela me fait le plus grand bien, et m'évite d'être jeté comme
une vieille chair faisandée à tous les perros du coin ! Ou aux cougouars
affamés… car quitte à en finir, j'y ajouterai du panache !
Suite du trek 
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