Cela devait arriver, le hasard vient de
prendre le contrôle. Nous ne sommes plus maîtres de notre destin. En
quittant Puerto Varas nous comptions poursuivre jusque la ville de Ensenada
et enchaîner à pied, le lendemain, par une route aux atouts pittoresques
majeurs, jusque Petrohue. Mais quelques minutes de distraction ont bouleversé
ce joli planning. Nous avons manqué l'arrêt trop bref d'Ensenada. Nous
voici sur le rivage du lac Todos Los Santos, magnifique lac qui n'est
toutefois pas le seul attrait de la région.
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Martine suggère de rebrousser chemin,
mais j'insiste un peu pour m'inviter à la table des Dieux. Nous plantons
finalement notre chapelle de vieux campeurs sur la rive du rio qui draine
les eaux du lac, au pied de Sa Majesté. Le montage d'une tente sous
une pareille tempête est une sacré gageure. Mais rien ne nous résiste.
Abritons-nous maintenant. Eole, compatissant, s'assoupit en soirée,
nous laissant profiter de l'exceptionnelle quiétude du lieu et des couleurs
indigo du couchant sur la couronne de glace. Le lendemain, dès dix heures,
le soleil est à nouveau de la fête dans cette nature grandiose. Le rio
est à trois mètres de la tente. Martine a déjà de l'eau jusqu'aux genoux
mais n'ira guère plus loin. L'eau reste fraîche. Eduqué dans des eaux
plus fraîches encore, me voici déjà immergé, profitant à pleins poumons,
à pleines mains, et plein d'entrain de cette liberté de temps et d'espace.
Un vieil homme décharné, la peau striée par mille veines bleutées, surgit
soudain derrière la tente faisant sursauter Martine en pleine télépathie
avec Sa Majesté. " No Hay un cerdo por aqua ? No ? Ahhhh, Mi cerdo...
perdido... ". Il répète sa question plusieurs fois, mais Martine et
moi sommes impuissants à lui venir en aide. Quand il repart à la quête
de son Graal porcin en vociférant comme un désespéré, la scène devient
irrésistible. J'enchaîne quelques brasses supplémentaires pour me calmer.

Tout à coup, j'aperçois Martine qui me
fait de grands signes en agitant les bras dans tous les sens sur un
rythme frénétique. Que se passe-t-il donc ce matin ? Tout le monde panique
curieusement. En m'approchant, je constate qu'elle ne me regarde plus
vraiment, agitée de plus belle, prise de folie hystérique. Serait-elle
tombée en état de transe ? Aurait-elle percé le mystère des volcans
sacrés ? Il me faut encore l'approcher pour avoir le fin mot de l'anecdote.
Quelques méchants tavanos ont décidé en cette belle matinée de petit-déjeuner
sur son corps trop exposé. D'où le numéro de majorette qui eut mérité
d'être primé. Tout s'apaise enfin et nous passons une matinée muy tranquilo
, allongés au bord du rio, face au volcan que cette fois nous ne gravirons
pas, non non, car son ascension est réservée à des piolets plus expérimentés.
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Pause sur l'île Margarita où nous échappons
quelques instants au groupe que nous accompagnons. Balade sans prétention
mais sympathique car le décorateur du film avait du talent pour mettre
en avant ces rivages montagneux, verts, très boisés, l'arrière-plan
de hautes montagnes, l'éternelle présence rayonnante du roi couronné,
la couleur surprenante des eaux, et un soleil cuisant qui une fois de
plus nous a confondus et trahis. Nos visages, nos cous et nos épaules
arborent désormais des étendards aux couleurs pourpres et carminées.
Demain, nouvelle journée de manches longues ! Mais à qui en vouloir
? Allez, Buenas Noches !

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