Ses hémisphères cérébraux cherchent
un nouvel équilibre sous cette latitude sub-équatorienne. Bonté divine
! Ses jolis yeux bleus sont désormais cernés par deux pommettes carminées
! La vierge n'est plus la seule à rôtir sous les rayons de l'astre royal.
L'été austral est au rendez-vous.Nous voilà bons pour l'hôpital des
grands brûlés. Martine nous trouve une crème apaisante, et face à la
barre des Andes qui revêt maintenant sa robe crépusculaire, nous rêvons
des aventures à venir et embrassons une dernière fois la très célébrée
vierge de ce continent puissamment religieux. Puisse-t-elle seulement
nous accompagner sur notre longue route. Nous revenons rassérénés vers
la ville, en sifflotant une vieille chanson de notre adolescence :
"La route m'appelle et m'attire,
A l'est, à l'ouest, au sud, au nord, Ce soir ici j'ai trouvé un lit,
Demain je coucherai dehors..."
Au troisième couplet, nous rentrons
par hasard dans la librairie Apostrophe de Santiago, librairie française
tenue, comme une vieille photo en témoigne, par un fidèle de feu notre
président, François Mitterand. Nous expliquons à une espèce d'hurluberlu
humaniste notre arrivée le 9 janvier à bord du 747 de la compagnie KLM,
gavés des milliers de repas dînette servis à bord, fatigués par cette
course à étape, Paris, Amsterdam, São Paulo, Buenos Aires, Santiago.
Le transfert de la matière, nos pauvres corps trentenaires, a bien fonctionné.
Nos esprits, eux, errent encore dans notre grand appartement vide de
la place de la République. Mais certains signes en disent long : Notre
premier hôtel se situe sur l'Avenida de la Republica ! Les grands boulevards
de la dictature ont donc vécu. Augusto Pinochet est, il est vrai, prisonnier
depuis peu des Anglais . Dans cet hôtel nous couchons dans la chambre
N°33, gage de bonne santé pour les mois à venir. Santiago, Santiago...
Ville paisible en ce mois de janvier. Normal, les Chiliens vacationnent
et jouent les estivants au bord des lacs ou de la côte Pacifique.La
ville est moderne, conforme à une certaine vision uniforme et mondiale
du progrès, une ville aux enseignes bien connues, rien de bien dépaysant
donc, quoique certaines mœurs, déjà, nous étonnent. Dans nos déambulations
hasardeuses nous croisons plusieurs centaines de jeunes couples farouchement
amoureux, repérables à leurs lèvres écorchées par mille baisers statiques
qui peuvent durer, foi de chronomètre, dix interminables minutes. Lèvres
contre lèvres, la narine droite écrasée par le tarin de l'amant, les
filles, hypo-ventilées, se pâment rapidement dans les bras de leur héros
brun aux cheveux mi-longs, car ainsi sont les jeunes Chiliens. L'esprit
encore fasciné par ces reines de l'apnée romantique, c'est une toute
autre égérie, aux lèvres de tôle et d'acier, qui menace de m'embrasser
pour l'éternité, et si finalement je lui échappe, je vous promets avoir
senti l'haleine de la malemort, ce qui convenez-en, eut été prématuré.

Sur l'Avenida del libertador O'Higgins
se joue chaque jour une féroce compétition, autrement moins glorieuse
que celle menée jadis par le libérateur, mais grandement spectaculaire
: Des centaines de fauves métalliques, des bus camouflés dans une guêpière
jaune et noire, chassent le client en une course si folle et si déréglementée
que Charlton Heston déguisé en Ben-Hur y terminerait bon dernier. Dominus
vobiscum ! Le seigneur soit avec vous ! La concurrence terrible entre
les compagnies de bus dicte la règle du jeu qui peut se résumer, pour
les piétons candides, à cette parole latine, pieuse et fataliste. Une
bonne cerveza Escudo, un pastel de choclos, une chuletta et quelques
papas fritas nous requinquent . Nous nous promenons dans le quartier
jeune et branché de Bellavista et passons devant la maison de Pablo
Neruda, poète chilien et prix Nobel. Sur une copie sud-américaine des
terrasses de Saint-Germain-des-Prés - le vrai quartier latin en somme
- je défie Martine au Volle Lotte, un jeu allemand à base de cartes
et de dés, choisi parmi les quatre ou cinq jeux différents ramenés depuis
notre home sweet home parisien. Sur cette scène ludique et insouciante,
la nuit tombe sans bruit sur Germain-des-Andes, comme la Chance dans
le jeu de ma Dame de cœur.
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