Changer de pays

Perchée sur le cerro San Cristobal , piédestal naturel et conique, la vierge de Santiago embrasse toute la ville et bénit ses nouveaux visiteurs. Martine et moi-même, pêcheurs saltimbanques baptisés sous des cieux plus romains, avons le devoir, à l'aube de notre grand voyage, d'obtenir miséricorde d'une vierge latino-américaine indulgente et compatissante.Pour cela, nous cheminons vers les hauteurs du cerro à la rencontre de cette grande dame pure et immaculée.

Montmartre est encore si proche dans nos souvenirs que nous préférons à l'approche traditionnelle des vieux et mystiques pèlerins, un joli funiculaire qui nous propulse tranquillement à ses pieds, lesquels rougissent peu à peu face au soleil couchant. J'observe Martine.

Ses hémisphères cérébraux cherchent un nouvel équilibre sous cette latitude sub-équatorienne. Bonté divine ! Ses jolis yeux bleus sont désormais cernés par deux pommettes carminées ! La vierge n'est plus la seule à rôtir sous les rayons de l'astre royal. L'été austral est au rendez-vous.Nous voilà bons pour l'hôpital des grands brûlés. Martine nous trouve une crème apaisante, et face à la barre des Andes qui revêt maintenant sa robe crépusculaire, nous rêvons des aventures à venir et embrassons une dernière fois la très célébrée vierge de ce continent puissamment religieux. Puisse-t-elle seulement nous accompagner sur notre longue route. Nous revenons rassérénés vers la ville, en sifflotant une vieille chanson de notre adolescence :

"La route m'appelle et m'attire, A l'est, à l'ouest, au sud, au nord, Ce soir ici j'ai trouvé un lit, Demain je coucherai dehors..."

Au troisième couplet, nous rentrons par hasard dans la librairie Apostrophe de Santiago, librairie française tenue, comme une vieille photo en témoigne, par un fidèle de feu notre président, François Mitterand. Nous expliquons à une espèce d'hurluberlu humaniste notre arrivée le 9 janvier à bord du 747 de la compagnie KLM, gavés des milliers de repas dînette servis à bord, fatigués par cette course à étape, Paris, Amsterdam, São Paulo, Buenos Aires, Santiago. Le transfert de la matière, nos pauvres corps trentenaires, a bien fonctionné. Nos esprits, eux, errent encore dans notre grand appartement vide de la place de la République. Mais certains signes en disent long : Notre premier hôtel se situe sur l'Avenida de la Republica ! Les grands boulevards de la dictature ont donc vécu. Augusto Pinochet est, il est vrai, prisonnier depuis peu des Anglais . Dans cet hôtel nous couchons dans la chambre N°33, gage de bonne santé pour les mois à venir. Santiago, Santiago... Ville paisible en ce mois de janvier. Normal, les Chiliens vacationnent et jouent les estivants au bord des lacs ou de la côte Pacifique.La ville est moderne, conforme à une certaine vision uniforme et mondiale du progrès, une ville aux enseignes bien connues, rien de bien dépaysant donc, quoique certaines mœurs, déjà, nous étonnent. Dans nos déambulations hasardeuses nous croisons plusieurs centaines de jeunes couples farouchement amoureux, repérables à leurs lèvres écorchées par mille baisers statiques qui peuvent durer, foi de chronomètre, dix interminables minutes. Lèvres contre lèvres, la narine droite écrasée par le tarin de l'amant, les filles, hypo-ventilées, se pâment rapidement dans les bras de leur héros brun aux cheveux mi-longs, car ainsi sont les jeunes Chiliens. L'esprit encore fasciné par ces reines de l'apnée romantique, c'est une toute autre égérie, aux lèvres de tôle et d'acier, qui menace de m'embrasser pour l'éternité, et si finalement je lui échappe, je vous promets avoir senti l'haleine de la malemort, ce qui convenez-en, eut été prématuré.

Sur l'Avenida del libertador O'Higgins se joue chaque jour une féroce compétition, autrement moins glorieuse que celle menée jadis par le libérateur, mais grandement spectaculaire : Des centaines de fauves métalliques, des bus camouflés dans une guêpière jaune et noire, chassent le client en une course si folle et si déréglementée que Charlton Heston déguisé en Ben-Hur y terminerait bon dernier. Dominus vobiscum ! Le seigneur soit avec vous ! La concurrence terrible entre les compagnies de bus dicte la règle du jeu qui peut se résumer, pour les piétons candides, à cette parole latine, pieuse et fataliste. Une bonne cerveza Escudo, un pastel de choclos, une chuletta et quelques papas fritas nous requinquent . Nous nous promenons dans le quartier jeune et branché de Bellavista et passons devant la maison de Pablo Neruda, poète chilien et prix Nobel. Sur une copie sud-américaine des terrasses de Saint-Germain-des-Prés - le vrai quartier latin en somme - je défie Martine au Volle Lotte, un jeu allemand à base de cartes et de dés, choisi parmi les quatre ou cinq jeux différents ramenés depuis notre home sweet home parisien. Sur cette scène ludique et insouciante, la nuit tombe sans bruit sur Germain-des-Andes, comme la Chance dans le jeu de ma Dame de cœur.

A 22h30, peu rancunier, j'aide Martine à charger ses quinze kilos de bagages. Notre maison sur le dos, nous nous rendons fièrement au terminal de bus de Los Heroes. Mais qu'y a-t-il donc d'héroïque à prendre un bus pour La Serena ? Devons nous nous en inquiéter ?
 
   
 
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