A la sortie du port, nous nous sommes
installés dans la première hospedaje venue. Son nom nous surprend :
Tierra del Fuego. Non seulement nous sommes situés géographiquement
à trois cents kilomètres au nord de la terre de feu, mais ici, soumis
à un climat hostile, tous les feux de la terre s'éteindraient sous l'action
conjuguée des vents, du froid, des brumes humides et du cycle incessant
des averses.

Ce matin le Puerto Eden est parti pour
son voyage retour vers Puerto Montt embarquant à son bord Jean et Patricia,
deux français avec lesquels nous dînions hier soir. Patricia se trouve
être une amie de Françoise, une copine parisienne. Patricia est dans
un triste état, nauséeuse avant l'heure. Les pharmaciens de Puerto Natales,
pauvrement achalandés, ne pouvaient malheureusement pas l'aider dans
sa quête de médicaments contre le mal de mer. Martine joue donc les
dealers et rassure tout le monde. De leur côté, le discours était moins
rassurant. Ils reviennent épuisés de quelques jours de trek dans le
parc Torres del Paine , après avoir lutté chaque seconde contre un maëlstrom
de rafales pluvieuses ou venteuses, et n'ayant aperçu de cette gigantesque
cathédrale érigée au milieu des glaciers, que la silhouette déchiquetée
des tours célestes et célèbres de l'Ultima Esperanza. Même ce discours
alarmiste ne pouvait m'empêcher de passer une bonne nuit après ces trois
jours de bonheur. En les quittant, j'ai donc allongé ma nostalgie dans
des draps frais. Je me souviens avoir été ballotté par des vagues de
plénitude, des flots d'arômes subtils échappés de sensations éprouvées
mille fois au cours du voyage des jours passés. Je me souviens de ces
otaries qui dansaient devant mes yeux, et d'une interminable glissade
sur un glacier chaud comme l'amour. Voilà
une semaine, nous sommes pourtant au cœur de l'été austral, que Puerto
Natales vit sous cette humidité constante, dans cette grisaille de trou
du cul du monde. Ces jours là, les désespérés de l'Ultima Esperanza
nous parlent de leur Putagonie avec ce type de sourire qui trahit un
vécu pesant. Dans les rues froides et désertes d'un centre ville moribond,
nous entamons ce matin les démarches nécessaires à notre expédition
dans le Torres del Paine.
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Le Torres del Paine, un nom
magique pour quiconque s'est un jour intéressé à ces lointaines contrées
patagoniennes. Vous pensez bien que moi, toujours partant pour des aventures
touristico-sportives, mettant ce détour austral à profit, lui proposai
le tour des Tours, la fameuse vuelta. Nous optons pour une approche originale
du parc : remonter la rivière Serrano depuis Puerto Natales, primo en
bateau, secundo en zodiac. Nous réservons deux places pour le lendemain.
Nous chinons ensuite, chez des loueurs de matériel, quelques vêtements
étanches mieux adaptés à ce temps de chien errant. Je loue une paire de
chaussures de marche water-proof, un réchaud, des gamelles, des protège-sacs,...
etc. Nous prévoyons d'accomplir le tour complet en six à sept jours. Nous
voilà donc dans le plus grand super mercado de la ville, attentifs à la
sélection de nos provisions de bouche, sélectionnant nos soupes lyophilisées,
nos sachets de purée, nos assaisonnements de thon et sardines, nos barres
de céréales,... etc. Martine la fromagère est très embarrassée pour choisir
entre l'ignoble camembert en boîte, triste produit d'import, et ce gros
bloc de chair à fromage posé devant ses yeux. Ce dernier triomphe sans
panache. Une heure plus tard, les emplettes de pépette sont complètes.
Nous n'avons pas oublié, Ô que non, un fût de pisco sour destiné à remonter
le moral des troupes, si celui-ci par malheur venait à défaillir. Sur
quelles épaules portera le poids du réconfort ? Je crois déjà connaître
le saint-bernard des prochains jours ! 19 heures. Logistique : paré !
Moral : Paré ! Itinéraire : Paré ! Exercice ! ! Martine soupèse son sac
qui retombe aussitôt, tout comme le sourire. Hmmm... Pffff.... Son regard
me frôle. Dehors, le vent éclate sur nos vitres l'agonie d'un ciel désespéré.
M'en voudrait-elle ? Elle ne comprend plus toute cette galère froide et
humide. Faut-il déjà ouvrir le Pisco Sour pour alléger ses peines... et
mon sac à dos ? Nous repérons un bon restaurant pour oublier tout cela.
Il est tout proche. Mais, pour parcourir deux ou trois centaines de mètres,
nous enfilons déjà un tee-shirt, une chemise, une polaire et une veste
! Le patron, perspicace, en nous servant une margarita surdosée en tequila
et triple-sec nous réchauffe bien vite les artères. Après l'excellent
bife à la pimienta je tombe les sur-couches hivernales. Puis le tannique
vino tinto nous entraîne jusque des heures tardives. Il est 1h30. Demain,
décollage à 7h00. Point de repos pour les braves. |