Il nous faut réapprendre à vivre. En début d'après-midi nous quittons Puerto Natales et prenons la route du sud, en direction de Punta Arenas. Nous traversons de vastes paysages de pampas desséchées que se partagent quelques immenses estancias de 50000 hectares, recouvertes à perte de vue de moutons à quatre pattes, des animaux bien réels dans ces décors surgis de mondes inconnus. L'espace vital moyen d'un mouton en Patagonie couvre plus de deux hectares. Histoire d'échelle. Nous rentrons maintenant dans la Provincia de Magallanes . Adieu, Ultima Esperanza, terre de paradis et d'enfer. Magellan a laissé son nom à la province et au détroit sur le rivage duquel Punta Arenas s'érige. Une hospedaje tenue par une dénommée Neña nous a été recommandée. Un taxi nous y dépose. La voisine d'en face surgit alors en une course folle et dresse sa masse emblousée de fleurs devant la porte de Neña en hurlant : " Completo, completo ". Cette barricade hystérique nous agace mais cette femme énergique finit par obtenir ce qu'elle cherchait : nous faire dormir chez elle plutôt que chez Neña. En soirée, sur la Plaza de Armas, nous croisons Alain, un prof de math de Santiago que nous avions rencontré sur le Torres del Paine. Lui et sa copine sont également sortis épuisés de ce parc, après cinq journées de dix à douze heures de marche. Ils ont juré de ne plus jamais y remettre les pieds. Mais Alain nous avoue qu'il avait déjà juré la même chose après sa première visite deux ans auparavant. Le parjure pourrait donc aussi nous frapper, si le temps, un jour, édulcore les difficultés que nous avons endurées. Et de cela, curieusement, je suis convaincu. Nous dînons avec lui dans un bon restaurant et nous nous laissons séduire par la spécialité locale : du centolla, autrement appelé crabe royal, vraisemblablement une très grosse araignée de mer. Le tout servi habilement décortiqué, à la chilienne. Délicieux, mais cher... oui mais délicieux... mais cher... Délicieusement cher donc, et notre budget de subir une inflation inquiétante. Alain nous en apprend beaucoup sur les mœurs chiliennes, sur la vie à Santiago, sur ses difficultés naturelles d'intégration. Avis très intéressant car il est d'une nature très ouverte et cultivée, volontaire et attentif, mais toutes ces qualités ne suffisent pas. Les codes comportementaux d'un peuple sont d'une complexité diabolique, et les européens, après deux ou trois années de bonne volonté, se heurtent à un mur de relations superficielles et se recroquevillent dans un milieu corporatiste, au comportement maîtrisé, celui des expatriés. Cela ne le décourage pas suffisamment pour renoncer à sa soif de découvertes puisqu'il cherche à partir enseigner au Brésil. Suerte amigo !
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