Padaglap Padaglap Padaglap... De toute
la force de ses postérieurs, Pastel avale la plaine atacumène et arrose
Coyo et sa cavalière d'une pluie de poussière et de glaise. Ce cheval
est puissant, son démarrage détonnant. Si je n'avais pas été aussi stupide,
cela aurait pu être une balade fantastique, mais voilà, c'est arrivé...
|
Mes mollets serraient parfaitement les
flancs chauds et haletants. Les étriers reposaient sous la base des
orteils, les talons légèrement affaissés. Je ne perdis rien de cette
prestance sous l'effet recul de son accélération foudroyante. Le chapeau,
seul, glissa sur la nuque. Alors, que se passa-t-il ? Une connerie,
une nigauderie dont je ne puis être fier, une stupidité qui me fait
honte. L'appareil photo, ce merveilleux objet si longuement choisi avant
le voyage, subit lui aussi cet effet recul, et puisque j'avais eu la
bonne idée de changer l'horrible lanière rouge vif Canon par une lanière
noire et élastique, la dite élastique s'employa à démontrer sa raison
d'être. L'appareil que je pensais hors de portée des parties rigides
du harnachement vint heurter la base de la selle, qui sous la peau de
mouton cachait un gant d'acier. C'est l'objectif 28-70 Sigma f/2.8 qui
comprit sa douleur. Pastel calmé, Martine dépoussiérée,
je constate bien vite, au milieu des ruines atacumènes de Tulor, que
mon œil technologique ne fonctionne plus. Les connexions électroniques
entre l'objectif et le boîtier sont massacrées, déboîtées. Pas le temps
de se lamenter. Une jeune femme nous attend à l'entrée des ruines pour
nous guider sur le site.

Quelle curieuse
situation! La femme, une indienne du village de Coyo, nous explique
avec chaleur les causes et circonstances de la disparition de cette
population atacumène, mais mon esprit égoïste ne s'intéresse à cet instant
qu'à la disparition de mon troisième œil. Je jongle avec ma mauvaise
conscience et écoute plus attentivement l'histoire de ces ruines que
les archéologues locaux ont cessé de déblayer faute de moyens. L'excavation
qui date de dix ans maintenant est peu à peu recouverte par le sable
et les dunes qui courent avec le vent dans le désert d'Atacama. Tout
à coup, d'un coup de dent, je débloque un bouton qui bloquait tout le
mécanisme de zoom et de mise au point. En forçant des deux mains, je
rétablis les connexions. L'objectif cassé et abîmé n'a pas superbe allure,
mais tout semble fonctionner, comme par miracle. Echaudé par l'aventure
et ne sachant que faire de l'appareil, nous sommes contraints de rentrer
au pas. Dans le désert, le sol est jonché de morceaux de céramiques
qui datent d'une époque où les atacumènes peuplaient les environs de
San Pedro. Nous pourrions en ramasser à pleines mains, nous nous en
gardons bien. L'archéologie parait ici bien délaissée. Il me semble
que nous foulons aux pieds des histoires inconnues, l'intimité de vieilles
tribus indiennes. Nous revenons par la campagne, ainsi appelée par les
habitants de San Pedro, car elle constitue la partie arborée de cette
oasis. Au ranch de Valérie, la guide française qui nous accompagnait,
je descends tout penaud de mon caballo , le Canon entre les jambes.
Fallait-il être stupide pour faire du galop avec un tel appareil en
bandoulière. Dans le bus qui nous mène le soir à Calama, nous nous retournons
sans arrêt pour jeter des hauteurs de la Cordillère de sel, un dernier
regard au soleil qui se couche sur le salar et les volcans enneigés
de l'altiplano. La déclinaison de roses et de pourpres est telle que
l'on croirait la scène sortie d'une photographie kitsch des années 50,
filtrée à outrance. Ce panorama est parfois réputé comme le plus impressionnant
du continent sud-américain. Adieu San Pedro, Adieu notre joli patio.
Ce fut là une semaine apaisante, conviviale, sucrée comme le pisco.

|