Nous croisons nos premiers troupeaux de lamas.
Laissés en liberté, les lamas restent des animaux domestiqués, élevés
pour leur laine, mais aussi pour leur viande, très riche en protéines,
malheureusement insuffisamment saine pour les gringos. Quelques hameaux
aux maisons de torchis jalonnent la piste ça et là.Les carences du transport
interurbain au cœur de ces montagnes très isolées incitent beaucoup de
vieilles femmes à faire du stop, mais notre chauffeur reste inflexible.
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Le deuxième jour, Dieu se dit
: " soyons fou ". De son chapeau de magicien galactique il nous sort
avec une grâce que nous lui rendons, un majestueux condor, sorte de
phénix andin qui vient jusqu'à se poser près de nous, fort de son immortalité.

Puis viennent à nous quelques
dizaines de vigognes effarouchées, craintives. Sur les champs de lave
qui dégoulinent du couvre-chef divin, courent également des lièvres-écureuils
et des nandus très farouches. Nous dépassons les 4000 mètres. Nos organismes
ne se ressentent plus du soroche. Nous sommes désormais acclimatés,
polyglobulés, prêts pour le grand spectacle, sous la lumière crue et
vive des projecteurs qui éclairent la scène. Au pied des cheminées volcaniques
qui culminent entre 5000 et 6500 mètres, les lagunes se multiplient,
tachetées de centaines de points roses et lumineux.

Brel pourrait chanter que les flamants des Andes ne
sont pas souriants. Ils fuient avec grâce, perchés sur leurs fines échasses,
la focale fouineuse du photographe. Perdant tout espoir de leur tirer
le portrait, nous les figeons dans leur fabuleux décor. Le 4x4 poursuit
sa route cahotante. Les cirrus d'altitude caressent le sommet de nos
crânes. Les sources chaudes volcaniques se déversent dans les lagunes
et expirent leur fumée blanche. Les volcans actifs se coiffent d'un
panache sulfureux. Les Andes sont jeunes, bouillonnantes. Les Alpes,
par comparaison, font figure de vieille grand-mère ratatinée, aux rides
profondes, creusées. Ici, comme je l'ai déjà écrit, les vallées sont
immenses et l'horizon a encore un sens. Au-delà des lignes virtuelles
de ces frontières terre-ciel, vous apercevez toujours le sommet enneigé
d'un quelconque volcan, et cette vie derrière l'horizon vous donne pleine
conscience de la rondeur de la terre.
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