Malins comme des bossus ces dauphins.
Insaisissables. Pas une seule photo me semble réussie. Croyez-vous qu'ils
compatissent ? Pffff, ils s'en moquent du tiers comme du quart. Et bien,
soit ! Amis dauphins, me voici, et en slip ! L'eau est à bonne température.
Je saute de la pirogue, et avec ma nage de chien plombé, cherche une
place dans ces eaux troubles, au milieu de cinq à six cétacés qui remuent
davantage qu'une portée de souris.

Ils s'approchent, me frôlent par derrière, surgissent
sur ma gauche, me narguent à droite, mais ne se laissent pas toucher.
Dommage, mais cela reste une incroyable expérience. J'en prends conscience,
même si je me trouve un peu con, lourd et gauche, parachuté en slip
à papa au beau milieu de leur mare. Je perçois leur souffle impressionnant.
Les pinks-dolphins sont heureux, je le sens. Ils poursuivent leur ronde
curieuse autour de ce pink-swimmer qui les distrait quelque peu. Nous
évoluons deux bonnes heures dans ce décor magique, cherchant à immortaliser
ce souvenir sur nos pellicules, à fixer leur joli minois sur trois couches
RVB, R pour le rose de leur joues, V pour le vert de rivière, B pour
le bleu de leurs yeux. Et peu me chaut que leur iris soit autrement
teintée. Quand nous quittons ces garnements indomptables, il nous semble
entendre, rapporté par les denses parois végétales qui nous entourent,
l'écho de leurs petits rires sardoniques. Retour à l'estancia. Mais
la journée n'a pas encore rendu l'âme. A la nuit, mais avant 21h30 (l'heure
du lever pour l'astre lunaire) nous partons, en pirogue toujours, armés
d'une batterie, d'un fort projecteur et de nos lampes torches, observer
les crocos.
|
Les étoiles sont dans l'eau maintenant.
Nous repérons des bébés crocos au milieu de poissons dormants. Ils n'en
feront qu'une bouchée dans quelques années. Nous observons attentivement
l'écosystème des marécages dans lesquels ils pataugent, puis rentrons
sous les premiers rayons de lune. Voilà une journée bien remplie. "
Primum vivere, deinde philosophari " ont dit certains, très solennels.
Je crois qu'aujourd'hui nous avons bien vécu. Bonne nuit les cafards
!
Le lendemain, accompagnés par
les dauphins, les grands échassiers, les cigognes, les singes, les cabiais,
les toucans et les papagayos, nous redescendons tout le rio Yacuma pour
revenir vers Rurrenabaque. Nous observons un animal étrange, mi-singe,
mi-ourson, aux gestes d'une lenteur caricaturale, l'aï, que nous connaissons
bien sous le nom de paresseux. Impressionnant et drôle.

Nous croisons les plus gros caïmans
de notre expédition, qui se brûlent le cuir au soleil, la gueule grande
ouverte. C'est sur, cette fois, l'aventure touche à sa fin. Trois heures
de 4x4 et nous voilà de retour à Rurre. Demain nous prendrons l'avion
pour La Paz. Ces dix derniers jours étaient tellement spécifiques, qu'il
nous semble que nos vacances s'achèvent, que l'avion demain, partira
vers la France, et non sur la Paz vers de nouvelles histoires. Il y
a comme une joie, vraiment, à s'installer confortablement dans ce restaurant,
après dix jours de baroud, mais comme une peine, une vraie tristesse,
dans l'abandon de cette région qui ne restera plus qu'un souvenir.

Un souvenir de quiétude, de nature, de force sauvage,
de vie déclassée, de simplicité, d'isolement intellectuel, social et
culturel, souvenir d'une autre vie qui ne nous appartient pas mais que
nous avons traversée avec bonheur.
|