Changer de pays

Nous revenons à notre palace où Mar-Tin (si si) le singe du lieu, se jette sur Martine, ma jolie guenon. Martine n'est décidément pas née sous le signe du singe (en astrologie chinoise) pour rien.
L'après-midi, après un repos bien mérité dans la fantastique basse-cour où le singe se repose sur le chien en croquant une sucette, où le coq lui dispute ladite sucette, où les canards batifolent,où le cochon noir ronronne de plaisir à chacune de mes caresses, nous repartons avec David et Mario, sur la pirogue, chercher les dauphins roses.
Le moteur Yamaha de 40 chevaux s'arrête après une demi-heure de navigation dans une zone où le rio Yacuma déborde tellement de son lit que l'on se retrouve ici comme sur un lac, duquel émerge la cime d'arbres aux deux-tiers noyés. Le gros Mario frappe la pirogue avec sa rame. Les dauphins sont curieux et approchent doucement. A peine émergent-ils la tête et l'arrondi de leur dos magnifique. Ils tournent et jouent autour de la pirogue. Ils se rapprochent encore, de plus en plus nombreux. " Eh Martine, ne t'affole pas, nous sommes encerclés par les peaux-roses mais ils ont des intentions pacifiques ". Pour leur coincer le bout du nez - et pourtant quel nez ! - dans le cadre de l'objectif, il faut être patient.
Les triples saltos qu'exécutent leurs cousins dans les delphinariums de Miami ne sont ici qu'une vue d'esprit. Clic ! Extraordinaire photo d'un remous ocre et vert. Clic ! Clic ! Contre-jour admirable. Clic ! Clic ! Clic ! Un remous, une épine dorsale, un remous.

Malins comme des bossus ces dauphins. Insaisissables. Pas une seule photo me semble réussie. Croyez-vous qu'ils compatissent ? Pffff, ils s'en moquent du tiers comme du quart. Et bien, soit ! Amis dauphins, me voici, et en slip ! L'eau est à bonne température. Je saute de la pirogue, et avec ma nage de chien plombé, cherche une place dans ces eaux troubles, au milieu de cinq à six cétacés qui remuent davantage qu'une portée de souris.

Ils s'approchent, me frôlent par derrière, surgissent sur ma gauche, me narguent à droite, mais ne se laissent pas toucher. Dommage, mais cela reste une incroyable expérience. J'en prends conscience, même si je me trouve un peu con, lourd et gauche, parachuté en slip à papa au beau milieu de leur mare. Je perçois leur souffle impressionnant. Les pinks-dolphins sont heureux, je le sens. Ils poursuivent leur ronde curieuse autour de ce pink-swimmer qui les distrait quelque peu. Nous évoluons deux bonnes heures dans ce décor magique, cherchant à immortaliser ce souvenir sur nos pellicules, à fixer leur joli minois sur trois couches RVB, R pour le rose de leur joues, V pour le vert de rivière, B pour le bleu de leurs yeux. Et peu me chaut que leur iris soit autrement teintée. Quand nous quittons ces garnements indomptables, il nous semble entendre, rapporté par les denses parois végétales qui nous entourent, l'écho de leurs petits rires sardoniques. Retour à l'estancia. Mais la journée n'a pas encore rendu l'âme. A la nuit, mais avant 21h30 (l'heure du lever pour l'astre lunaire) nous partons, en pirogue toujours, armés d'une batterie, d'un fort projecteur et de nos lampes torches, observer les crocos.

Ce ciel sans lune est une constellation d'étoiles au milieu desquelles la croix du Sud nous rappelle notre latitude sur le globe terrestre. Les pupilles des caïmans à trois mètres de nous brillent d'un éclat jaune et rouge.

Les étoiles sont dans l'eau maintenant. Nous repérons des bébés crocos au milieu de poissons dormants. Ils n'en feront qu'une bouchée dans quelques années. Nous observons attentivement l'écosystème des marécages dans lesquels ils pataugent, puis rentrons sous les premiers rayons de lune. Voilà une journée bien remplie. " Primum vivere, deinde philosophari " ont dit certains, très solennels. Je crois qu'aujourd'hui nous avons bien vécu. Bonne nuit les cafards !

Le lendemain, accompagnés par les dauphins, les grands échassiers, les cigognes, les singes, les cabiais, les toucans et les papagayos, nous redescendons tout le rio Yacuma pour revenir vers Rurrenabaque. Nous observons un animal étrange, mi-singe, mi-ourson, aux gestes d'une lenteur caricaturale, l'aï, que nous connaissons bien sous le nom de paresseux. Impressionnant et drôle.

Nous croisons les plus gros caïmans de notre expédition, qui se brûlent le cuir au soleil, la gueule grande ouverte. C'est sur, cette fois, l'aventure touche à sa fin. Trois heures de 4x4 et nous voilà de retour à Rurre. Demain nous prendrons l'avion pour La Paz. Ces dix derniers jours étaient tellement spécifiques, qu'il nous semble que nos vacances s'achèvent, que l'avion demain, partira vers la France, et non sur la Paz vers de nouvelles histoires. Il y a comme une joie, vraiment, à s'installer confortablement dans ce restaurant, après dix jours de baroud, mais comme une peine, une vraie tristesse, dans l'abandon de cette région qui ne restera plus qu'un souvenir.

Un souvenir de quiétude, de nature, de force sauvage, de vie déclassée, de simplicité, d'isolement intellectuel, social et culturel, souvenir d'une autre vie qui ne nous appartient pas mais que nous avons traversée avec bonheur.

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