A la loupe idéaliste des grands utopistes,
San Jose est un village préservé, une organisation humaine où la quiétude
a encore sa place. La bande FM survole en vain ce pueblo hors du temps,
où la radio et la télévision ne semblent avoir aucune raison d'être. Aucun
moteur ne ronronne. Les nuisances sonores ? les grenouilles, les oiseaux,
les singes. Aucune agitation superflue dans ces rues vertes bordées de
maisons en bois, en torchis, aux toits de feuilles séchées.Pepo, un petit
singe noir domestiqué par les voisins, nous rend visite au petit déjeuner
et couvre Martine de gros câlins. Il n'en faut pas plus pour l'émouvoir,
l'attendrir et la rendre inséparable de son nouvel ami. Et si celui-ci
la gratifie régulièrement d'une petite chiure verdâtre, ses singeries
drolatiques ravissent ma petite femme.Pour Martine, c'est sûr, cette nouvelle
complicité est la réalisation d'un rêve de gosse. |
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Ce matin nous rêvons de grandes
ablutions pour rincer nos corps des sueurs accumulées sur le trek. Pour
cela, Martine, moi, et Pepo le costaud, descendons pendant dix minutes
le sentier qui mène au point d'eau. Il nous faut ensuite un quart d'heure
pour remonter, juste le temps de transpirer à nouveau, de se faire uriner
dessus par Pepo le pissou, et d'arriver au bungalow pour constater qu'el
señor Oscar s'affaire aux préparatifs de notre départ. Jungle beat.
Le rio Tuichi, seule voie d'accès au village, coule en contrebas du
village, à une demi-heure de marche rapide sur un chemin escarpé et
glissant. Les livreurs de chez Darty n'aiment guère livrer leurs frigidaires
aux habitants de San Jose. On les comprend. L'autarcie de ce village
n'est qu'une conséquence naturelle de son isolement. Pour nous elle
représenterait presque un rêve, un art de vivre. En somme, la conséquence
artificielle ou l'effet secondaire de notre suradaptation sociale, de
notre saturation neuronale. Notre société nous éduque de telle sorte
qu'il nous paraît impossible de vivre hors des réseaux qu'elle crée
artificiellement. Réseaux économiques, humains, politiques, technologiques.
Pas un neurone n'échappe à cette interconnexion globale. Les hommes
bientôt fusionneront pour n'être plus qu'un, une forme artificielle
de Dieu omnipotent, une gigantesque intelligence au service de personne.
Du vent virtuel, amnésie des origines et du sens.
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La pirogue à moteur qui remonte une fois
par semaine les quelques provisions qui échappent au régime autarcique
du village (sucre, sel, mayo, ketchup) est d'une modernité très agressive
pour les habitants de San Jose. Leur économie n'est pas indexée sur l'écoulement
du temps. Elle s'adapte au tempo de la nature et des révolutions astrales.
Ils utilisent des radeaux traditionnels en balsa pour descendre ce fleuve
en silence, se laissant porter par la puissance hydraulique naturelle
jusqu'aux villages voisins. El capitàn Juan et son fidèle Oscar achètent
l'un de ces radeaux à un paysan du village, pour 70 bolivianos comptant.
En un tour de main, comme à leur habitude, et il serait difficile de déceler
le moindre soupçon de fierté dans leurs mots ou dans leurs gestes, ils
élargissent celui-ci et lui rajoutent sur le deuxième tiers arrière un
petit étage pour sauver nos sacs et nos fesses des eaux parfois agitées
du rio Tuichi. Nous saluons nos hôtes avec émotion. Martine embrasse Pepo,
qui fait sa bouche toute ronde pour pousser quelques cris de joie, mais
aussi de tristesse. Tchao Pepo, hasta luego ! |