Souvenez-vous de notre pêche aux pirañas à Santa Rosa
del Tuichi. Nous leur servions, pour les appâter, un ersatz de fondue
bourguignonne.

Mais à La Paz, Les
pirañas ne survivent pas à l'altitude aérienne de cette capitale. Nous
inversons donc les rôles et nous nous attablons devant une véritable
fondue à faire pâlir un dijonnais. Nous venons d'atterrir quelques heures
plus tôt sur le haut plateau qui domine La Paz. Une heure de vol pour
semer le trouble dans nos physiologies. Les usines à globules rouges
appellent d'urgence leurs ouvriers retirés dans leurs villégiatures
des basses terres oxygénées. Une immense machinerie se met en marche
à notre insu, pilotée par un cerveau surchauffé. Si je commis une erreur,
c'est bien en essayant de calmer l'incendie par quelques verres de cet
excellent Casillero Del Diablo. Tout à coup je me revis dans l'avion
à hélices, qui quelques heures plus tôt, passé le col à 5000 mètres,
tournoyait tel une cigogne au-dessus du gouffre citadin, perdant son
altitude pour accrocher au bout de la falaise surchargée de taudis de
briques rouges, la piste de béton qui nous sauvait. Tout
se mit à tourner violemment dans ma caboche asphyxiée par l'air appauvri
et le vin trop riche. J'étais ce piraña harponné et tiré hors de l'eau,
bouche grande ouverte et branchies convulsées. A cet instant j'ai senti
la fin m'envahir, un abandon total aux lois de la nature, aux lois de
cette jungle que nous venions de quitter. Le piraña harponné avait fini
dans mon assiette. Je l'avais trouvé délicieux. Harponné à mon pic à
fondue, les poumons soudainement atrophiés, je sens déjà que l'on me
vide les entrailles pour me servir sur un plateau à la table des petits
vers affamés. Me trouveront-ils délicieux ?
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Sept à huit kilos de linge humide, d'une saleté repoussante,
au fumet âcre et tenace, vont oublier un peu les tortures de la vie
sauvage au son des tambours des machines à laver.
Nous quittons la Paz le 8 Juin non sans avoir fêté
cela par un dîner nocturne dans un resto qui domine les falaises illuminées
de la ville. Un cadre très romantique qui nous donne des idées bien
douces. Buenas noches.
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