Changer de pays

Le lendemain, dernier jour de ce périple de 800 kilomètres, nous arrivons aux portes du salar d'Uyuni, le plus vaste lac salé du monde, totalement asséché en saison sèche. Certaines merveilles terrestres se prêtent facilement au pouvoir imaginatif du cerveau humain, à une imagerie intellectuellement reconstituée, mais celle-ci, je vous l'assure, reste inaccessible.

Autrefois, ici, il y avait un vaste lac salé aujourd'hui asséché. Le sel s'est déposé de manière uniforme (jusqu'à 40 mètres d'épaisseur) pour former à l'altitude homogène de 3 653 mètres, un vaste océan blanc de 12000 kilomètres carrés, soit l'équivalent de deux départements français.

Vous pénétrez une autre planète, un astre que la science-fiction n'avait pu imaginer. Nous sommes en mai, en pleine saison sèche. Le salar n'a cependant pas encore absorbé les pluies abondantes de l'année qui faisaient suite à deux années sèches.

Pour rejoindre Uyuni, nous n'avons pas le choix. Il nous faut traverser la partie humide du salar, un véritable lac de 10 à 40 cm de profondeur. Les moteurs sont bâchés, le radiateur protégé des éclaboussures salées par une calandre de branchages. Pour imaginer la scène il faut savoir que pas une ride ne trouble la platitude de ce lac. Les montagnes et le ciel se réfléchissent avec une telle netteté sur les eaux qu'il est impossible de distinguer le vrai du faux, le ciel ou la terre, une chose ou son reflet. La luminosité exceptionnelle achève d'estomper les horizons et seul le sillage des 4x4 vous apporte la preuve que vous ne volez pas dans une 4ème dimension.

 

Jamais je n'avais vécu pareille magie. Puis nous revenons sur le sel ferme, avec cette plane étendue vierge, la plus vaste de la planète, à perte de vue.

Au milieu de cet océan pacifique, écrasé par les forces anticycloniques, un îlot, un grand rocher entouré de ce drap de satin, si blanc, si étincelant.

Les 4x4 accostent sur le ponton principal de l'île. Des centaines de cactus dressent leur masse phallique vers le ciel si bleu, surplombant la mer si blanche. Chaque seconde vous vous interrogez pour comprendre comment on a pu vous cacher l'existence d'une telle splendeur.

Chaque angle de vision est surprenant, et la pente déclinante du soleil modifie constamment la lumière, coiffe les cactus d'auréoles lumineuses, fait scintiller les cristaux de sel de l'étrange océan. Nous déambulons deux bonnes heures sur l'îlot, abrutis de bonheur, de plénitude visuelle. Puis nous reprenons la mer et les 4x4 tracent leur route vers les horizons fictifs aux confins de cette plaine joyeuse.

Vers la sortie du salar, nous visitons un hôtel entièrement construit en sel : murs, tables, chaises, pieds de billards, jeux d'échecs, ... un bijou. Puis enfin, une mine de sel, sur laquelle travaillent comme des bêtes de somme et pour un salaire de misère, des familles d'ouvriers, père, mère et enfants. Le sel extrait du salar ne contient pas d'iode. Consommé ainsi, il favoriserait le crétinisme et les goitres, chose commune dans les montagnes reculées. Demandez son avis au capitaine Haddock lorsqu'il traîte Tournesol de " Crétin des Alpes ! ".

Le sel est donc iodé une fois extrait. Les ouvriers ont la peau et les yeux brûlés par l'intense réverbération. Leur labeur est tellement disproportionné à leur salaire... Nous les abandonnons là, dans ce décor de rêve que leurs yeux brûlés n'imaginent pas moins horrible que l'enfer. Une heure plus tard, nous sommes de retour à Uyuni, chamboulés, bouleversés, ravis par quatre journées de parfaite symbiose avec la nature, notre fidèle compagne sur cette longue route sud-américaine.

 

Etape précédente.................. Réagir à ce récit ............Etape suivante

 

Votez !

 

Etape précédente.................. Réagir à ce récit ............Etape suivante
Lire en musique