Changer de pays

Ce 8 mars, nous poursuivons notre longue remontée vers nos latitudes de départ, puisque Buenos Aires, notre destination, se trouve peu ou prou, à la même hauteur que Santiago du Chili. Un nouveau voyage de 19 heures que nous débutons après 4 heures d'attente au terminal de bus. Le bus de la Costera Criolla, accidenté entre Trelew et Puerto Madryn, arrive enfin, cahin-caha, versant sur le bitume des larmes de gasoil.
Le coche cama s'engage maintenant sur la Ruta 1, traversant ces steppes infinies d'herbes à moutons, dont les senteurs se mélangent aux émanations douceâtres de yerba mate que les suceurs de pipe exhalent dans le bus, mais ce raffinement de petites herbes ne cache pas la misère, cette enivrante et écœurante odeur de pétrole qui nous remonte du moteur.

Vers 22 heures, nous faisons une halte restauration au terminal de bus d'une quelconque ville de transit, de cette longue route désolée. A 5 heures du mat, pause petit-déjeuner ! On oublie ensuite les masques à gaz, car nous voilà transbordés à bord d'un nouveau bus étanche. Quand le soleil se lève, le décor a changé. Devant nos yeux fatigués et aussi loin que nos pupilles dilatées peuvent capter un détail dans cette aube naissante, l'herbe à vaches a tout envahi. Un vaste tapis vert, un gazon parfait, anglais (ceux-ci au 19ème siècle importèrent leurs propres semences pour donner à leurs roastbeef qui traversaient l'atlantique dans les premiers bateaux réfrigérants, un goût plus british - dixit South American Handbook), et sur cette pampa, quelques vastes estancias se partagent à coups de barbelés, d'immenses cheptels de bovins qui paissent paisiblement, abrutis de silence monotone. Paissez en paix ad vitam aeternam, votre chair déstressée est si tendre pour les voraces carnivores. Ce cadre invariant nous accompagne jusqu'aux portes de la capitale fédérale de l'Argentine, Buenos Aires. Nous sautons dans le premier taxi venu, arbitrairement élu au sein d'une myriade de 504 Peugeot qui constituent 50 pour cent de la flotte de taxis de la ville. ( Le reste pour les Renault 12 et 19). Nous déambulons dans le périmètre de la plaza de Mayo et du quartier piétonnier, commerçant.

Toute cette agitation porte les couleurs trop grises de costumes trop riches, les reflets trop brillants de spray capillaire, les lumières trop électroniques d'enseignes martelantes. La circulation est dense, bruyante, violente. Les pseudo golden boy agitent leurs mèches brillantinées, portent le menton haut, excessivement, marchent d'un pas vif la veste déboutonnée, achètent et vendent leurs rêves chimériques en aboyant trois ordres dans leurs portables dernier cri. L'arrogance est universelle. Buenos Aires a des bons airs de déjà vu, de vie très parisienne. Mais Paris et la France ne se sont pas construits en un jour. Cette caricature de neo-libéralisme très palpable à Buenos Aires, est gênante, parfois choquante, disproportionnée par rapport à l'histoire récente de cette évolution. Tout cela ressemble beaucoup à de la flambe, comme un croisement de deux attitudes connues, mariage de parisianisme et de flambe estivale à la sauce méditerranéenne. L'émigration italienne fait couler dans les veines argentines cette petite touche de folie supplémentaire qu'apportent les ritals. Le quartier de San Telmo est plus typique, artistique. Bar sympa, sombre, boisé. Une musique de Tango romantise l'espace. La température est douce : 24 degrés. Nos deux chopps de Quilmes sont accompagnées de cacahuètes comme partout en Argentine. Nous tentons d'appeler la famille en France. Faux numéro, puis répondeur. Ces trente secondes de "non-communication" nous sont facturées 60,00 FF !! Agacés, nous filons comme un dard vers le quartier coloré de La Boca, très agréable et reposant en cette période non touristique.

Un couple de danseurs martèle le pavé, mêlant leurs longues jambes au rythme compliqué des règles du Tango. L'ambiance est populaire et, sortis du Caminito (la rue la plus touristique), reposante. Les hordes de taxis affamés désertent les ruelles ombragées du quartier. Nous y restons dîner.

Le 12 mars, Recoleta et Palermo, quartiers chics de Buenos Aires nous ouvrent leurs portes. Quartiers aérés, verts, où le luxe flirte avec les espaces verts, les musées et les grands cimetières, car riches ou pauvres finissent en poussières. Mais les riches s'accrochent à leur ego jusque dans la tombe, car ce cimetière, type Père-Lachaise, est une succession de mausolées mégalos, au milieu desquels, dans ces jeux de bas-reliefs, je photographie mon modèle. Eva Peròn, figure de l'Argentine, ci-gisante, nous le pardonnera. Rodin, Manet, Rousseau, Pissaro, Degas, Boudin, ...etc. Le musée des beaux-arts de Buenos Aires met en valeur les vertus des arts français. Nous nous affermissons le mollet devant les petits rats de Degas, nous nous reposons essoufflés devant un baiser de Rodin, tournons de l'œil devant un Picasso, et partons en courant du musée après les 160 scènes de guerre de Francisco de Goya.

Chopp de Quilmes sous le plus gros arbre à caoutchouc de la région, et pour changer du steak, resto chinois à la sauce piquante, vraiment piquante, un brasier... ahhhhhhhhhh… Le samedi 13 mars, nous tirons la chasse sur cette vie épicée, et décidons de quitter Buenos Aires et l'Argentine pour filer à Montevideo de l'autre côté du rio. Le Rio de la Plata, la rivière de l'argent, cet argent pillé à Potosi et transbordé sur les docks du vieux port de Buenos Aires pour enrichir l'Europe, revêt une couleur terreuse, trouble comme le remords. Un nouveau Tampon orange nous ouvre les portes de la République Orientale de l'Uruguay, pays de transit, sur notre route Nord vers les côtes brésiliennes.

   
 
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