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Cette nuit, les actions conjointes de la
pluie et d'un vent violent qui soufflait par l'est ont recouvert la tente
d'une désagréable pellicule de sable gluant. Nous remontons dans la boîte
à tangos, direction Punta Tombo, à 300 kilomètres de là, sur la piste
de nos deux pinguïnos égarés, puisque ce territoire est l'habitat naturel
d'un demi-million de leurs congénères, d'octobre à mars. La piste n'en
finit plus de s'étirer. La police veille, buzzer branché sur la vitesse
limite de 79,9 km/h. Vers 15 heures, sous un ciel trop gris, nous apercevons
les premières lueurs de la ville pinguinesque de Punta Tombo. Sur les
hauteurs, le quartier de Bellavista, quartier des couples sportifs qui
trottent plus d'une heure pour rejoindre leur terrier à la sortie du bain. |
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Plus bas, le quartier des m'as-tu
vu et de toute la clique branchée de la colonie. Encore plus bas, les
quartiers populaires à forte densité. Tous ces manchots mutants - ils
terminent à cette époque leur mue annuelle - circulent crânement entre
nos jambes. Nous ne sommes pas à l'abri d'un coup de bec réprobateur
mais dans l'ensemble, la coexistence est pacifique. Un pétrel géant,
grand oiseau marin, plane dangereusement au-dessus de la colonie, quêtant
une proie jeune ou malade. Les manchots, méfiants, creusent leur terrier
à l'abri de la végétation, sous laquelle de gros rongeurs aux yeux arrondis
leur tiennent compagnie. Un groupe de guanacos
sème en ce moment une jolie pagaille dans le club Mickey, sur la plage,
et deux renards attendent patiemment que la mer nourricière leur rejette
sur le rivage le cadavre d'un petit pingouin éteint.

Cette ville de 500000 habitants
s'active en fait très peu. Chacun se débarrasse comme il peut de ses
vieilles fringues, et dans cet océan de plumes, prépare ses valises
pour son traditionnel voyage au Brésil, prévu pour la fin du mois.
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Plusieurs nous toisent
de leur regard curieux et nous demandent parfois une photo d'identité.
Je note l'adresse avec soin pour la leur expédier au retour : Pinguïneria
de Punta Tombo Quartier de Bellavista 5375ème terrier derrière l'arbre
mort à trois branches Alors que nous quittons les lieux salués par les
cris de toute la colonie, le soleil, ce traître, éclaire enfin la scène
d'une jolie lumière ocre de fin de journée. J'exhibe le Canon pour profiter
de cette belle lumière. |
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Je constate, ravi, que pingouins, nandus
et guanacos se présentent naturellement devant mon objectif qui les embrasse
chaleureusement. Martine s'exerce ensuite au difficile exercice de conduite
sur les pistes patagoniennes, roulantes mais traîtres, et après plus de
trois heures de dérapages contrôlés, ramène son bolide Renault sur le
bitume. Adieu faune marine de Patagonie. Nous avons profité de toi et
puisé en toi de nouvelles énergies. Je crains qu'à l'avenir, trop protégée
de la folie des hommes, nous ne puissions plus t'approcher. Il faut pourtant
préserver une forme de communication rapprochée et respectueuse entre
l'homme et la vie sauvage. Sinon, à quoi bon toute cette diversité, cette
richesse vivante ? Pour la science ? Pour les zoos ? Pour les docs des
chaînes câblées ? Pour tout ce monde parallèle de la virtualité ? Rien
ne vaut la réalité. Nous y reviendrons un jour, quizás , pour danser avec
les baleines franches australes...... |
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