Un réseau ferroviaire quasi inexistant, à l'instar de
tous les pays sud-américains. Une économie en plein marasme que pétrole,
bananes et crevettes sont impuissants à relever de la pompe corruptrice
et des conséquences vraiment tragiques du phénomène El Niño. Vous y
êtes maintenant ? Le 9 Juillet, après une vingtaine d'heures de bus,
nous franchissons la frontière à Tumbes, le cœur joyeux, et cherchons
un bus pour Loja au sud-est du pays. L'actu in vivo nous claque la joue
gauche. Nous tendons aussitôt la droite et l'oreille, pour apprendre
que la grève des taxis a fait tache d'huile. Les vieux bus couverts
de décalcomanies à l'effigie d'un Christ barbu et d'une Vierge étoilée,
refusent de prendre la route sur ces pistes devenues glissantes. La
grève est générale. Pour débloquer tout cela, même Jesus-Christo ne
possède pas les clefs. Nous non plus. Bienvenue dans le piège équatorien.
L'augmentation brutale du coût de l'essence est à l'origine du mouvement.
Augmentation très importante dictée par le FMI, laquelle fait suite
à une majoration démente sur le gaz, et précède des augmentations de
téléphone et d'électricité. Le peuple équatorien pour lequel le salaire
minimum nous paierait cinq places de cinoche (et encore, sans le son
THX ou Dolby ou je ne sais quoi) perd patience. Ils sont pris à la gorge.
Cependant, nous ne comprenons pas vraiment l'excès d'individualisme,
le manque de solidarité, qui naît de cette situation. Pour rejoindre
l'immigration équatorienne à 4 kilomètres de la frontière, les heureux
propriétaires d'une moto nous arnaquent gentiment. Puis le rayonnant
conducteur d'une carcasse bleue ciel, posée sur quatre pneus cent fois
rechapés, nous extorque quelques dizaines de milliers de Sucre pour
nous poser à Santa Rosa à une heure de là. Mais à Santa Rosa, tout est
bloqué. Aucun moyen de rejoindre Loja. Je n'ai ni tante ni cousins ni
amis à Loja. Martine non plus. On peut donc changer nos plans. Allez,
Direction Machala. Deux équatoriens patientent avec nous une bonne heure
sur le trottoir, mais nous attendons en vain un signe de solidarité
de leurs compatriotes motorisés. Ah quand même, une Nissan aux pneus
larges, vitres teintées, freine à notre hauteur sur la route terreuse.
Le conducteur nous demande 80000 Sucre pour nous mener à dix kilomètres
de là. Qu'il soit sans pitié pour nous autres gringos, nous y sommes
après tout habitués, mais pour ses compatriotes sans le sous, ce n'est
là que veule médiocrité. Va te faire foutre sale pleutre, profiteur,
ectoplasme, moule à gaufres, bachi-bouzouk, tchouk-tchouk-nougat ! Finalement,
un pick-up nous embarque gratis. Le mot solidaire peut rester dans le
dico équatorien. Sur la plate-forme arrière nous défilons dans la galerie
des bananes, invités au palais mondial de ce fruit nourrissant. Sans
dec, Machala est la capitale mondiale de la banane, je l'ai lu sur l'affiche
des élections de Miss Banane 98. Bon, voilà, nous y sommes. Mais Machala
n'est pas un but en soi. Ville minable, sale, rien à faire, rien à voir,
manger de la banane et s'inquiéter d'el paro, la grève. Sans CNN, nous
sommes contraints de sonder les locaux qui n'en savent guère plus que
nous. Martine cogite et trouve. Pas de taxis, pas de trains, pas de
bus, pas de voitures pour les longues distances, mais l'avion ? Je frappe
au numéro 1, demande mademoiselle Angèle de la Tame, qui me répond de
repasser dans trois jours car les 40 places quotidiennes sont déjà bookées.
Je frappe au numéro 2, demande mademoiselle Angèle de la Cedta, et la,
Ô surprise, en pleurant un peu, on nous trouve deux places pour le lendemain
dans un petit Piper qui arrive livrer de la marchandise et qui repart
à vide sur Guayaquil. Guayaquil, la ville des rats et du choléra. Un
port où les marins boivent et pissent sur les femmes infidèles, Guayaquil,
le bastion de l'ordure. Mais pour nous une porte de sortie vers la côte
équatorienne, un interlude dans notre mouvance de galériens.
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