Changer de pays

Santiago, Buenos Aires, Montevideo, Asunción, La Paz, et maintenant Lima de triste réputation. Quatre heures de voyage dans la brume côtière nous ont ramenés vers cette sixième capitale traversée en six mois. Nous optons pour un hôtel du centre.
Peut-être aurions-nous du prendre racines dans le quartier plus moderne de Miraflores, vers l'océan. Car ici, quand vient l'heure du dîner, difficile de trouver autre chose que des poulets gorgés d'eau et des burgers de bas étage.Nos appétits de gastronomes se démoralisent.

Nous tentons de nous reposer un ou deux jours mais ma sinusite et le mal de foie de Martine nous laminent. Nous rêvons de soleil, de huit jours de bulle au Brésil. Rien de bien intéressant à faire ici. On passe la moitié de la journée devant la télé câblée de notre chambre. On se remet au courant de l'actu mondiale, des mésactions des vrais-faux méchants serbes, du retour des vrais-faux gentils Kosovars, des guerres en Inde, au Sierra Leone, des efforts de paix au Moyen-Orient, des troubles en Iran, des déboires de la droite française, des grèves de taxi à Quito en Equateur. On regarde deux ou trois films minables, dix documentaires animaliers, historiques ou scientifiques sur Discovery Channel, et toujours et encore de l'info spectacle sur CNN en anglais ou en espagnol. La Copa America bat son plein. Le Pérou est en tête de son groupe, la Bolivie mal partie. Palermo, avant-centre de l'Argentine a raté trois penalties dans son match contre la Colombie. Dommage car ils perdent pour finir 3-0. Finale le 18 juillet, à suivre. Voilà, vous savez tout de Lima. Nous sommes vraiment fatigués physiquement. Le 5 Juillet, dans un resto tenu par des religieuses, nous devons écouter l'Ave Maria entonné avec brio et en espagnol par des sœurs du Zaïre, du Tchad, d'Inde et d'ailleurs. Je ne saurais mettre sur le compte de cet événement mon évanouissement une demi-heure plus tard . Sœur Caroline se précipite pour prendre ma tension mais n'arrive pas à se servir de l'engin. Elle peste la gentille sœur : "Je comp'ends pas pou'quoi, la machine affiche toujou e''eu' !!". Finalement, un peu au hasard mais confortée par l'allure de la loque qui gît à ses pieds, le diagnostic tombe : "Tension basse !". Les médicaments miracles suivent aussitôt. Un Coca-Cola en conditionnement de 296 ml, suivi d'une prescription de maté de coca, et pour conclure des profiteroles au chocolat. Toutes les sœurs m'entourent affectueusement. Je les en remercie vivement. La tension remonte, le niveau de sucre aussi. L'incident est oublié. Et cela tombe bien, car le lendemain, c'est l'anniversaire de Martine. Nous filons comme le vent vers le plus chic resto de Lima, au bout d'un ponton à l'anglaise, un pier import, au-dessus de l'océan. La romance est torride. Apéro face au couchant, puis langouste sauce thermidor arrosée d'un excellent blanc. Oublié le poulet à l'eau ! Ah, la bonne gastronomie ! Bon anniversaire Doudou ! Voilà qui remonte le moral et retourne l'estomac.

Premier épisode d'une série de fêtes qui concernent le couple Le Mercier. Le 6 juillet, anniversaire de Martine. Le 7 anniversaire de rencontre, le 10 anniversaire de mariage, et le 12 pour conclure en apothéose, ma fête ! On fait l'impasse sur le bal des pompiers du 14, ici ils ne connaissent pas. L'Ave Maria de l'autre soir n'a pas redonné le foie à Martine. On cherche l'hôpital américain, car ils sont forts les ricains, la preuve : après trente secondes d'auscultation - une grosse main ridée qui malaxe le ventre de ma Doudou - le médecin-chef, non sans fierté, expédie sa patiente aux rayons X pour une radio...des côtes! "Euh, pardonnez-moi vénérable Docteur, mais dites, je ne suis jamais tombée, aucun choc, et puis c'est organique mon mal, c'est dedans, pas dessus !". Bon, euh, ben, le médecin reprend contenance, prescrit une échographie qui ne révèle rien, mais ce " rien " met la puce à l'oreille du scientifique. Sans autre élément il modifie son diagnostic, et Martine, dépitée, apprend que sa côte cassée se transforme par quelque prescience doctorale en une inquiétante inflammation du colon. Nous voilà rassurés ! Nous pouvons abandonner les Liméens à leur triste ville, à leurs rues maussades, à leur océan gris comme la bouillie d'avoine d'antan, à leur gastronomie tirée vers la médiocrité, à leur poésie urbaine d'une mélancolie déprimante. Même si je devine en quittant les lieux, que c'est nous qui n'avons rien compris aux mystères de cette capitale. La vie est ainsi faite. Allez, peu importe, foutons le camp en Equateur !

   
 
   
 
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