Changer de pays

Après plusieurs mois de vagabondage sur le nouveau monde, il est temps pour nous de pousser un cri. Bouchez-vous donc les trompes d'Eustache car j'ai l'âme en colère et la bile amère. Faut-il être emphatique pour se faire entendre ?

Alors j'ose hurler bien fort, que vous tous sud-américains, vous êtes des grands pollueurs.

Vous prenez votre terre pour une benne à ordures, mais Pachamama n'en peut plus de roter votre Cola, elle s'étouffe sous les plastic-bags et s'enivre de ces hectolitres de bière éventée échappés de ces bouteilles qui jalonnent chaque mètre carré, le long des pistes, des routes asphaltées, dans vos villes, dans vos déserts. Du Sud au Nord, cette même mentalité de pollueurs qui rabaisse à sa médiocrité la condition humaine. L'écologie n'est pas l'apanage des porteurs de pulls en alpaga et des éleveurs de chèvres du Larzac. Ramassez vos ordures bon Dieu ! Eduquez-vous ! Ne gâchez pas tout ! Putain, quel cri !! Cette nouvelle route entre Cuzco et Nasca est propice à la réflexion. Le trajet est surprenant : nous repassons par Puno, puis par Arequipa. C'est un peu comme si pour aller de Paris à Rennes vous passiez par Lyon puis Bordeaux. Résultat : un voyage de trente heures un rien éprouvant. A Camaña, au bout d'une longue ligne droite qui découpait un paysage hyper-aride, nous débouchons sur l'océan Pacifique. Nous avions oublié le bruit des vagues depuis le Brésil, fin Mai. Mais de la côte Est luxuriante à ce désert côtier, quel contraste ! Le courant froid du Pacifique (courant de Humbolt) percute les masses d'air chaud continentales et de ce puissant choc thermique naît un brouillard qui recouvre toute la côte péruvienne huit mois par an. Dans ce monde pour cruciverbistes, couvert d'ergs et de regs, la mélancolie est maîtresse des sables et des eaux grises de l'océan. Après quelques centaines de kilomètres en cette inhumaine compagnie, nous abandonnons les poètes du néant à leurs errances invisibles, à leurs oraisons grisâtres, et bifurquons plein Est vers Nasca. Rien de bien joli dans cette ville triste écrasée par le désert. Constructions minables, végétation rabougrie, temps gris. Il ne pleut en moyenne que trente minutes par an dans cette région du globe. Ô qu'elle est sèche la vallée ! Et pourtant, le passage d'El Niño en 97-98, avec ses pluies diluviennes, a saupoudré la région de chlorophylle. Magie et mystères du désert. A Nasca, les mystères se bousculent aux portes de la connaissance et se dispersent sur la pampa qui cerne la ville. Quels mystères ?

C'est dans les airs qu'il nous faut se projeter pour en capter l'essence envoûtante. L'hélice du Piper prend ses tours, l'aéroplane décolle, bascule sur l'aile gauche, cap 250° vers la pampa Colorada. Et bien vous me croirez si vous le voulez, mais après cinq minutes de vol, 400 mètres au-dessous de notre bel oiseau d'acier, gît une baleine de plusieurs dizaines de mètres. Virage à forte inclinaison à gauche, puis à droite, je harponne le cétacé et l'enferme dans notre boîte à images. OK, pilote, cap sur le prochain mystère. Un singe énorme d'au moins cent mètres. Ou cent cinquante ? Incroyable. Puis une araignée grande comme trois millions de mygales, un colibri grossi des milliards de fois,

un héron au cou de trois cents mètres replié en zigzags, un chien à cinq pattes, géant canin qui ferait fuir le plus grand des monstres du jurassique ...etc.

L'aéroplane enchaîne ses spirales et de circonvolution en circonvolution, l'estomac hoquette et râle contre ces forces gyroscopiques qui lui retournent son p'tit déj, mais un peu plus haut, mes binoculaires organiques viennent d'apercevoir sur les flancs d'une colline quelque nouvelle forme mystérieuse qui solutionne cet imbroglio de phénomènes inexplicables. Il s'agit d'un astronaute de quarante mètres, mais a-t-on déjà vu sur notre terre un géant pareil ? Non ? Alors, c'est clair, c'est un extraterrestre, le Noé d'une planète lointaine frappée à son tour par El Niño, un Noé dont l'arche se serait fracassée sur ces terres, répandant sur la pampa les corps aujourd'hui pétrifiés d'espèces titanesques. Les scientifiques pensent quant à eux que ces lignes, les fameuses lignes de Nasca, furent conçues dès l'an 900 avant Jesus Christ par les Paracas, jusqu'aux années 600 après Jesus Christ, avec les Nasca. Mais comme ces anti-poètes n'expliquent rien d'autres, ni ces curieux animaux, ni ces lignes de plusieurs kilomètres qui strient le désert, liberté est laissée à chacun d'interpréter ces mystérieux et impressionnants géoglyphes. L'avion atterrit enfin. Martine qui avait fait l'économie du p'tit déj, ah ce sixième sens, rayonne. Chez moi ce sont les nausées qui exultent et éructent. En revenant vers la ville nous nous arrêtons chez un fabricant de céramiques qui reproduit à l'identique et à l'ancienne des céramiques de l'époque Nasca.

Intéressant. Nous faisons une courte halte dans un drôle d'endroit où les tombes d'une civilisation ancienne nous offrent un curieux spectacle de momies à l'air libre. L'air est si sec dans cette région que les momies n'en souffrent aucunément.

Puis chez des mineurs qui bossent en pleine ville pour extraire du minerai ramené des mines éloignées, les quelques grammes d'or qui les aident à survivre.

Un fort pourcentage de la population vit ainsi dans le roulis des broyeurs, le balancis des écraseuses et les bains de mercure. Nous leur achetons un lingot d'1,6 gramme. Dix dollars le gramme, nous voilà riches.
 
   
 
   
 
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