Changer de pays

 
La triste ambiance de la côte péruvienne nous manque déjà. Nous filons en collectivo, via Ica, jusque Pisco, dans le brouillard Pacifique. Là encore, la ville n'a rien de bien folichon, comme si toute la splendeur architecturale du Pérou s'était concentrée sur la seule ville de Cusco. Mais les joyaux de la ville se cachent sur l'océan, sous la brume. Et, devinez quoi ? Nous voilà une fois de plus sur un bateau. Non pas sur l'un de ces bateaux de pêche industrielle, forts nombreux sur cette portion côtière, mais sur une petite coque ridicule poussée par deux cents chevaux furieux.

On vole sur l'eau ! Du coup, je n'arrête pas de moucher. L'infection ORL de Cuzco se conclut en sinusite. Je tousse encore, Martine aussi.Elle se plaint aussi du foie, la râleuse. Est-ce que j'en rajoute, moi, avec cette fatigue qui m'écrase depuis Cuzco ? Non, alors un peu de réserve ! Une sinusite, vous savez ce que c'est, c'est tout de suite un mal de tête lancinant, usant. Alors, Martine, s'il te plaît, ne me prend plus la tête avec tes problèmes de toux, de foie, d'infection et de fatigue. Je t'en prie ! Non, le ciel ne nous tombe pas sur la tête. Au contraire, au-dessus des deux loques voyageuses, le brouillard s'est aujourd'hui dissipé. Nous approchons des îles Ballestas sous un soleil éclatant. Les îles sont de toute beauté, creusées d'arches, de caves, de passages étroits entre les rochers. Une faune ornithologique très dense dans laquelle nous reconnaissons - mais Dieu que l'on n'y connaît rien - des pélicans, cormorans, fous à pattes grises,

des jolis sternes décorés d'un superbe liseré sur le bord de fuite de leurs fines ailes, et combien d'autres espèces plus rares qui batifolent sur leur tapis de guano. Mais le spectacle, car il s'agit bien de cela est aquatique également. N'imaginez pas Murielle Hermine jouant les sirènes évanescentes dans une cage de verre sur une quelconque scène de théâtre citadin. No, aqui, spectaculo natural!! Une très forte colonie de lions de mer squatte ces belles eaux de villégiature.

Si les femelles ressemblent à leurs cousines otaries, plus musclées et dotées de deux mignonnes petites oreilles, la ressemblance avec leurs homonymes terrestres est assez vague. Mais alors, porque "lion de mer" ? Il suffit de regarder les mâles, énormes masses dotées d'un cou à la Tyson et d'une crinière épaisse comme le roi de la savane.

Les lionceaux, eux, sont confinés à la nurserie et apprennent à nager dans des eaux plus calmes, puis à pêcher.

Nous circulons dans les méandres de ces îles alvéolées, saisissant au passage les douces scènes de la vie sauvage. Martine me montre du doigt, indignée, un gros mâle qui balance sans ménagement ses femelles à l'eau, puis un autre en lutte pour la conquête de son harem, quelques petits abandonnés sur leur rocher par une mère volage, et deux ou trois jeunes pin-up qui attendent désespérément la grosse vague qui les propulsera là-haut, sur ce gros rocher noir, près d'un beau mâle musclé, un peu gras à mon goût, qu'elles convoitent. Quelques centaines de cormorans nous survolent et s'en vont au large. Nous slalomons entre les fientes célestes et revenons vers le continent, vers cette presqu'île de Paracas, classée réserve nationale.

Pas grand chose à voir à première vue. Du sable, du sable, du sable. Une couleur uniforme à perte de vue. Puis le vent de Paracas se lève. Le sable vole, les portugaises s'ensablent. Si l'on ignorait qu'en quechua Paracas signifiait "tempête de sable", mes pauvres yeux rougis par l'impact de milliards de particules, veulent bien admettre une certaine corrélation entre le nom et la climatologie particulière du lieu.

Nous nous réfugions dans une grotte baptisée "la Cathédrale" puis observons au pied d'une falaise un groupe d'une dizaine de dauphins qui déjeunent tranquillement dans les vagues du ressac.

Une petite colonie de flamants conclue ces quelques heures dans la tempête, mais une petite conne de touriste française, discrète comme mille collégiennes excitées, nous les expédie à l'autre bout de la lagune avant que l'on ait pu se rendre compte de quelles plumes ils étaient faits.

Etaient-ils roses, verts à pois noirs, ou jaunes citrons ? Ne pourrait-on pas, afin de mieux réguler les touristes sur cette planète décidément trop petite, instaurer une forme d'examen obligatoire, qui attribuerait à chaque personne désirant partir en vacances, un label vert "touriste calme" ou rouge, "touriste excité". Le label vert "touriste calme" aurait ses entrées dans les parcs et réserves, dans la nature en général, dans les hôtels calmes, les terrasses avec vue, les bus à amortisseurs, les avions qui partent à l'heure, qui arrivent à destination. Aux "touristes excités" les boîtes de nuit ringardes, les hôtels pourlingues, l'antipathie des indigènes et les avions qui s'écrasent. Voilà, c'est dit. Qu'ils ne viennent plus piétiner notre label. Ah, Pisco, capitale du pisco. Nous filons comme des zèbres vers le resto le plus chic de la région car nous avons été tuyautés sur son excellent pisco sour et son happy hour qui permet de diviser par deux la note ou de multiplier par deux l'ingestion. Pour quelle option croyez-vous que nous penchâmes ? Et bien oui, mais face au soleil couchant, sur cet océan tranquille, vous auriez craqué également !

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