Dans notre coche cama grand luxe, nous passons la frontière brésilienne sans nous en rendre compte, si ce n'est au petit matin quand le steward smart et attentionné, quand Peterson, c'est le prénom inscrit sur son badge, nous tend les passeports tamponnés. Tampon décevant, dépouillé de ces couleurs de fête ou de carnaval qui habillent si bien le rêve brésilien. Les choses commencent à se compliquer pour nous. Peterson a beau être le plus gentil des stewards, le plus souriant, cet homme là, le bougre, comme 159 millions de ses concitoyens, parle une langue qui provoque mille grimaces d'incompréhension sur nos têtes désespérées, mille gestes d'excuses des deux mains, mille onomatopées aux consonances espagnoles vite ravalées, mille regards implorant le pardon. Pardon de ne pas savoir dire bonjour, ni bonsoir, de ne même pas pouvoir faire comprendre que l'on ne comprend rien, rien de rien, nib, macache. Le seul mot qui me revienne, obrigado , ne suffit guère pour engager une conversation. Pour la conclure peut être. Nous regrettons de n'avoir point sollicité Fabiane et Franck avant le départ, deux amis spécialistes de ce nouveau patois. La langue portugaise restera donc un mystère. Le jour se lève, en pleine forme. Sans connaître le Brésil, nos imaginations alimentées par toutes les sources livresques ou médiatiques, en avaient déjà construit un patchwork de couleurs, d'odeurs, de musique et de soleil, que d'aucuns appelleraient clichés. J'imaginais ce pays comme un tableau naïf du douanier Rousseau, avec des verts de jungle flamboyants, des rouges latérite, des pierres lapis-lazuli, des cascades de suco de mangua, des peaux cacao et couleur café, du sable vert et des eaux dorées, ou l'inverse, des brésiliennes de braise cuivrées jusqu'au bout des doigts, et rien d'autres que de belles sensations, abandonnant inconsciemment dans la poubelle des JT, les images moins souriantes de la misère quotidienne, cette ambiance de maisons de cartons, de violence, de vices et de maladies. Les premiers paysages sont conformes aux clichés, inondés de végétation dense, exotique, verte flamboyante. La terre est d'un rouge sombre lumineux, comme la robe d'un vieux bordeaux. La forêt investit tout, recouvrant entièrement les pentes arrondies des nombreuses collines. Nous sommes bien loin du bassin amazonien, mais nous ressentons déjà en quoi ce pays peut être le poumon de la vie, sa grosse bonbonne d'oxygène aux parfums de mangue, de bananes, de maracuja et de cannes à sucre. Depuis Punta Arenas, nous en avons fait du chemin. Plusieurs milliers de kilomètres au travers des steppes rases d'herbe sèche, puis de la verdoyante pampa où les arbres sont absents, pour arriver presque soudainement, aussitôt passée la frontière, dans cet univers tropical. Nous arrivons enfin à Florianopolis sur l'île de Santa Catarina, si proche du continent qu'elle est reliée à celui-ci par un pont. Il nous apparaît tout de suite que la récente déconfiture du Real, la monnaie du pays, nous rend la vie meilleur marché qu'en Argentine. Deuxième surprise, sous une façade un peu hermétique (avouons aussi que nos borborygmes linguistiques n'y sont pas innocents), nos premiers contacts sont aimables, serviables, peu stressés. Cet accent traînant porte en lui quelque chose de plaisant, de tranquillement nonchalant. Mais comment choisir un maillot de bain pour faire bonne figure sur les plages brésiliennes ? Le défi est compliqué. Martine s'angoisse. Plager c'est un métier !! Les bouts de ficelle présents dans les vitrines ne cachent guère plus aux yeux du monde que la raie du popotin. Mais Martine qui montrerait volontiers ces jolis seins que les Brésiliennes maintiennent cachés sous de vilains bikinis, ne peut se résoudre à montrer sa lune aux astronomes plutôt amateurs qui crânent sur le sable chaud. On s'énerve, on invoque le kilo de trop, le régime qu'il eut fallu entamer depuis Punta Arenas, on regrette l'idée très conventionnelle de vouloir jouer les dindes sur la rôtissoire des plages, on hurle sa nostalgie, on glorifie les fesses parfaites de ses vingt ans, et jetant avec force dépit l'argent sur le comptoir du magasin Dit-Dit, on ressort, et je parle bien sûr de Martine, avec un joli bikini tout noir qui lui va vraiment très bien. Ainsi va la vie. Nous voilà parés pour le Brésil. |
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