Sur la côte atlantique de l'île Santa Catarina, une plage. Barra Da Lagoa. Nous y louons un appartement pour quatre nuits. La plage en grand arc de cercle est à peine fréquentée. Quelques bars sur la plage, les chaises presque dans l'eau. Nous y goûtons notre première Caïpirinha , délicieuse. |
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Ce ne sera pas la dernière. Nous sommes presque les seuls clients. Dans l'eau, quelques surfeurs fiers et bronzés profitent de la belle force des vagues. Un peu rincés par le récent voyage, nous décidons d'attendre le lendemain pour plonger dans les rouleaux d'écume. Le soleil se couche sur Barra Da Lagoa. La fraîcheur tombe à peine. Les nuages qui toute la journée, poussés par le vent, s'accrochent au relief de l'île, décrochent enfin. Nous, nous décrochons difficilement de nos caïpirinhas envoûtantes et regagnons notre repaire, le pas légèrement Samba. | ![]() |
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Les jours suivants vont se ressembler. Petit déjeuner tardif sur le balcon, plage, baignade, plage, baignade, plage, baignade, caïpirinha, caïpirinha, caïpirinha, sieste, resto, dodo. Nous reprenons nos lectures. A Buenos Aires, nous avions refait le plein de bouquins, tant et si bien que nous constatons avec effroi que nous trimballons dans nos sacs les dix sept livres suivants : " Un enfant de la balle " de John Irving " La peau du tambour " de Arturo-Perez Reverte " La ville et les chiens " de Margo Vargas Llosa " Toquaia Grande " de Jorge Amado " Voyage à motocyclette en Amérique Latine " du Che " Anna Karenine " de Leon Tolstoi " Le lama bleu " de Jacques Lanzmann " Le lièvre de Vatanen " de Arto Paasilinna " Sotos " de Philippe Djan " Le roi des Aulnes " de Michel Tournier " La part manquante " de Christian Bobin " Changement de décor " de David Lodge " Chili Argentine " du guide du routard " Bolivie - Pérou - Equateur " du guide du routard " South American Handbook " tous les pays (en anglais) "Méthode d'espagnol en 80 leçons " " Nouvelles hispano-américaines bilingues - volume 2 " Ah, le poids des mots ! Auxquels s'ajoute cette modeste littérature quotidienne. Le deuxième jour, comme la queue du lézard commence à s'allonger, allégoriquement parlant, voilà que Martine, à peine creusé son terrier dans le sable chaud, s'envole à longues enjambées, bondissante, et court se jeter les bras en croix dans l'océan d'écume. A-t-elle disjoncté au point d'oublier qu'elle ne supporte la baignade que dans des eaux très chaudes ? Non, voilà qu'elle me crie, extatique, que l'eau est au moins à 25 degrés, qu'elle en mettrait son pied à couper, ce qui compte tenu des événements à venir, révèle une autre facette du sixième sens féminin : la prémonition. Mais n'anticipons pas. Apres avoir humilié Christine Aaron en courant le 100 mètres thalasso sous les 10 secondes, voilà qu'elle confine Sotomayor aux oubliettes de l'histoire en sautant trois bons mètres au-dessus du jacuzzi tumultueux, et renvoie Popov à l'entraînement, ce fainéant, en plongeant et nageant sous la vague, plus agile et rapide que le champion de Punta Tombo, ce pingouin de Magellan qui vit dans le 5375ème terrier derrière l'arbre mort à trois branches. Et elle rit, elle rit, la doudou, dieu m'en est témoin. Elle se jette dans les rouleaux, émerge couverte de sel et d'écume, réajuste le bikini malmené, me regarde en poussant des petits cris jouissifs, reprend une bouffée d'oxygène aux parfums de mangue, et se laisse choir à nouveau dans le tumulte, les zygomatiques étirés jusqu'aux oreilles rougies par les multiples immersions. Faudrait-il être un vieux varan de Comodo, lourd et impotent, pour ne point réagir à pareil bien être. Un premier coup de reins me remet sur mes quatre pattes, le second me redonne une silhouette d'homo sapiens. Je pousse le deuxième orteil de mon pied gauche dans l'eau (né avec le pied égyptien, c'est toujours mon éclaireur dans ce type de circonstances) et pousse une sourde exclamation, comme un vieil homme des cavernes, surpris par la fraîcheur de l'eau, pas plus de 21 degrés, ma main au feu. Toujours est-il que je rejoins ma naïade, et dans cette mer inouïe, chante avec elle les louanges de Dame Nature, puis danse sur le balancis d'écume une capoeira, enchaîne sur une mazurka, l'enlace pour une valse à trois temps, (choc, roulé-boulé, immersion), et termine par un maculele très tonique. Puis, et nous arrivons à l'instant palpitant de ce récit (roulement de tambours de piste aux étoiles en fond sonore), Martine se lance en solo dans une danse classique, au départ tout au moins, et sur cet opéra à la Wagner rythmé par la violence des vagues déchiquetées, enchaîne les petits sauts de ballerine sous le regard médusé des méduses en tutu, sous le regard envieux des petits rats de plage, sous le regard joyeux de l'homo erectus, son mari ahuri. Tout à coup, sur le dernier bémol d'un long thème lyrique très enlevé, alors que sauts, saltos, plongeons et galipettes s'étaient succédés en rythme triples croches, voilà que ma danseuse étoile qui retombait tout sourire et en doubles pointes d'une double volte charmante, fut soudain déséquilibrée par un courant de fond inverse au flux des vagues, à contretemps de la musique. La tête de l'étoile s'immergeait à peine, que déjà le sourire lâchait prise, la paupière disparaissait sous un sourcil froncé de douleur, et la pupille partait au ciel implorant sa maman, par delà les océans, de lui venir en aide. Pour mieux comprendre cet événement dramatique il est important de savoir, ce genre de détails pouvant échapper aux amis les plus proches, que Martine et moi possédons une caractéristique anatomique commune, le pied égyptien. Ce courant de fond si soudain, déséquilibra et modifia l'axe d'immersion, et cette belle double volte qui se devait d'être amortie en doubles pointes, ne put l'être que par le seul pied gauche. Le deuxième orteil, en éclaireur mal avisé, supporta seul quelque infime instant l'intensité du choc, et peu rompu à cette danse avant-gardiste, se rompit. Aïe, Aïe, Aïe. La ballerine unijambiste, dépitée, hésite entre simple fêlure et double cassure, rentre dans sa coquille et murmure doucement : " C'est injuste, c'est vraiment trop injuste ... ". Et elle a bien raison. Tant de fougue, tant de rage dans le bonheur! Ces joies explosives, débridées, juvéniles et harmonieuses sont habituellement tellement contraintes par l'étau de la sagesse et de la mesure, que celle-ci assurément, eut mérité meilleur sort. Pendant que Martine médite sur son droit souverain au bonheur, et peste contre l'ingérence néfaste des esprits malins, je retourne faire Plouf ! En me propulsant de la pointe des pieds tout en lançant mon bras gauche au-dessus de la vague, à la manière de Richard Fosbury, cet américain de Portland précurseur de la technique terrestre, le creux de mes reins retombe doucement sur le rouleau qui me porte sur plusieurs mètres, jusqu'à la culbute finale dans l'épaisse mousse salée. Les frégates qui s'agitent au-dessus de moi, pour un peu, goûteraient bien de ce curieux poisson volant. Le soir, nous dînons sur la plage, et puisque nous sommes les seuls clients du lieu, quelques figures locales et autres traîne-savates nous taillent la bavette. Les fumeurs de marie-jeanne se regroupent sur l'herbe et nous nous joignons au joint par complaisance plus que par goût. Dans ces vapeurs exotiques, j'apprends que la plata de Platini donna la victoire à la France en finale de la coupe du monde de futebol , et que le poids de cet argent dans les poches de Ronaldo l'empêchait de courir. Les Brésiliens ont la défaite amère. Je préfère rester naïf et écouter la voix de ceux qui nous félicitent. Nous sommes ainsi restés quatre jours sur la plage de Barra Da Lagoa, dans ces forts parfums de vacances tropicales hors du rush estival brésilien, loin de la furia citadine des capitales. Martine a repris ses bains de mer, l'orteil convalescent, soutenue par un antalgique puissant : Cachaca et suc de cannes, bien glacé de préférence. |
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