Changer de pays

Aujourd'hui nous laissons nos neurones capter et stocker quelques ultimes sensations de ces vieilles demeures portugaises, de ces rues moyenâgeuses, de ces églises à la gloire de Dieu construites parfois par la gent esclave de ses fidèles, de l'ivresse musicale et de l'enivrante Pinga, de ces lourdes pluies chaudes gorgées de soleil, de ces fruits insolents, de ces sucos et vitaminas, de la cuivre nudité de ces torses humides, de la bonne chair ingérée, moqueca de peixe ou filete de carne, des horizons sculptés du continent, des horizons archipelisés de l'océan, de ces hautes montagnes habillées d'une armure de nimbus, de ces bas-fonds colorés de chatoiements écaillés, de l'imposante verdure des feuilles de bananiers et l'impossible hauteur de ces palmiers de Babel, de l'écrasant automne, de ces sables qui s'assemblent en quartiers de lune, de ces clippers majestueux, de ces musiques de procession, pascales mais ténébreuses, de ces chevaux qui fument sous l'orage, de Paraty sous une lune voilée, sous un soleil plombé ou un plafond trop bas, de Paraty le jour, de Paraty la nuit, de Paraty belle antichambre du paradis, jardin d'émotions. Nous nous entassons cent et mille, suant à grandes eaux, dans le bus local qui serpente sur le boa d'asphalte en direction de Rio, à l'ombre de ces denses parois végétales, à l'aplomb de ces vasques marines qui croquent le relief. Quelques 98 km plus avant, nous voici à Angra Dos Reis, ville morte et bien triste ce dimanche. Nous ne sommes plus que moiteur dans l'humide touffeur. 37°C à l'ombre, une morne apathie nous accable. Les odeurs âcres de la misère emplissent l'air, et ces remugles de putréfaction marine portés par le vent d'est polluent les rares essences d'une nature parasitée, envahie, détruite. Nous louons une suite à l'hôtel Jacques. Sous cette grandiloquence, une chambre modeste, large comme le lit, longue comme le lit, haute comme la télé qui surplombe le lit, jaune de maladie, vue sur une muraille grise, à l'aune de cette ambiance glauque. Le jour du Seigneur absorbe toute l'énergie de la ville, aspire à l'ombre des tabernacles tout souffle de vie, abandonnant aux nomades païens, une cité brute de bétons, de grilles obstruantes et de noire pestilence. Pour tromper l'ennui, dans nos gosiers de brebis égarées, nous laissons couler le houblon fermenté, communiant en cela avec l'assemblée des fidèles, car la fraîcheur monacale de cette fausse bière trappiste me rappelle l'invention de nos moines dévots, entre Flandres et Wallonie. Le lendemain lundi, absous de leurs péchés et régénérés par le repos de chair, les Angrassiens s'activent pour donner vie à leurs racines, aux tiges fragiles de leur morne cité, cité dans laquelle nous recherchons, et nous nous sentons tout à coup en terrible décalage avec la dure réalité de leur vie, une connexion Internet. Pour cela il nous faut réinventer le réseau des réseaux. Du bureau d'informations touristiques on nous mène à la poste. Le préposé, désolé, compatissant et très serviable nous mène à une école d'informatique. Portes closes. Il nous vient l'idée d'en essayer une autre. Un jeune type, encore plus désolé, compatissant et serviable que son compatriote postier, nous accompagne dans la ville jusque chez un professionnel qui moyennant dix Real de l'heure nous autorise à faire usage de son matériel. Obrigado. Nous y restons 4 heures à conter nos dernières aventures, avec plus de succès, espérons-nous, qu'à Montevideo, ville depuis laquelle aucune message n'était arrivé à destination. Vers 14 heures nous mettons un point final à nos digressions planétaires, crapahutons nos carapaces Millet et Lafuma jusqu'au port d'Angra et embarquons pour la douzième fois sur un bateau, depuis le début de notre aventure sud-américaine. 1h30 plus tard, nous mettons pied a terre sur Ihla Grande.
   
 
   
 
   
 
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