Descente au coeur de la troisième dimension, réglage
de stab, vol en palier. Il ne nous reste plus qu'à surfer sur les crêtes
coralliennes, en poumons ballast. La baie de Paraty n'est guère profonde,
dix mètres ou un peu plus. Le corail est discret, mais de jolis poissons
trognons au regard curieux nous accueillent en paradant fièrement sous
nos yeux de scaphandriers, arborant avec ostentation leurs plus flamboyantes
couleurs. Bien sûr, les gorgones de Sharm El Sheik,
les anémones d'Hurgada et les abysses de Ras Mohamed, sont au monde
sous-marin ce que Rio est au Carnaval, et peu de choses égalent l'intensité
de ces eaux de mer rouge que Moïse eut tord de traverser à sec ( avouons
que si l'homme au bonnet rouge a lu la bible, Moïse ignorait tout de
l'invention du commandant), mais la balade est plaisante. Nous survolons
de nombreuses raies de grande taille, croisons des poissons Ange de
toute beauté, taquinons l'oursin et une étrange araignée de mer, pas
le crabe, non non, une véritable araignée grande comme deux lourdes
paumes, des poissons flûte ou trompette, je ne sais plus, un poisson
préhistorique au museau de chauve-souris, une sorte de poisson papillon
"voilier", et quantité d'écailles virevoltantes aux éclats fluorescents
de samba. Nous remontons à 100 bars, après 40 minutes de plongée. Repos
sur le pont de Mister Big, brûlant de soleil. Repos de courte durée,
car nous voilà déjà ré-équipés, nous dandinant comme deux vieux pingouins
lourdement lestés de 7 kilos de plomb. Plouf, Re-plouf !! Fabio mène
la danse. Mes oreilles sifflent mais je suis la palanquée. Au-delà de
8 mètres, l'eau perd subitement 5 degrés, et vous pouvez vous retrouver
dans la situation étrange suivante, si vous déambulez à la frontière
de ces deux eaux : Les fesses caressées par des remous à 24 degrés,
la zigounette refroidie par la subite dégradation thermique. Evoluant
justement par 8 mètres de fond, la zigounette toute renfrognée, j'ôte
mon détendeur pour conter à Martine cette mauvaise blague, laquelle
me voyant ainsi dessiner des bulles dans lesquelles mes paroles se diluent,
en glousse tellement qu'elle en avale la tasse, hoquette, manque s'étrangler
de rire, preuve, s'il en fallait une, qu'une blague éculée peut encore
tuer. Rien n'est pesant sous l'eau. Les amateurs de sensations fortes
sont déçus. Ici, c'est le royaume de l'équilibre, de l'harmonie, de
l'élégance naturelle, une histoire sans paroles, du Technicolor muet,
une troisième dimension vécue pleinement. Nos libres évolutions échappent
aux règles cartésiennes des x, y ou z, et palmes par-dessus tête, ou
nage en marche arrière, n'ont aucune importance dans ce monde sans équation.
Quand je pense qu'à l'oral de math du baccalauréat je suis tombé sur
la loi de Poisson ! J'aurais dû lui répondre à cet inspecteur à l'haleine
de hareng, que cette loi est inique et qu'elle viole la virginité d'un
monde préservé, préservé de la folie administratrice des hommes. Mais
je n'aurais pas eu mon bac. Nous émergeons après 40 nouvelles minutes
de bonheur ultra-marin. Martine se jette sur un tuba et débarrassée
de son pesant cylindre, retourne barboter sur ces eaux chaudes de surface.
Malheureusement, le sable en suspension ne favorise pas le snorkling
. Nous remontons vite sur le plus haut pont du
bateau, et de ce piédestal improvisé, deux vieilles statues, Martine
30 ans et Olivier 33 ans, brandissent bien haut leurs oriflammes ternies,
et toutes cordes vocales vibrantes, se jettent de cette fantastique
hauteur dans l'émouvant océan. Le jeu se poursuit, vif et passionné.
C'est à qui rejoindra le pont supérieur le premier. Les sauts se succèdent
et c'est ainsi que de ce piédestal brillamment inauguré une heure plus
tôt, deux beautés sculpturales, Martine 12 ans et Olivier 15 ans, brandissent
bien haut leurs flamboyantes oriflammes, et muets de fierté adolescente,
se donnent de cette fantastique hauteur à l'émouvant océan. Jusqu'à
qu'épuisement s'ensuive. Puis c'est le retour. Nous cabotons dans la
baie de Paraty, tachetée de 65 îlots, dont plus d'un correspond à l'image
cartepostalisée d'une vie Robinson. Mais les Robinson que l'on peut
apercevoir çà et là n'ignorent rien du pouvoir de l'argent. Martine,
pour ta petite maison de vacances sur un îlot de Paraty, nous patienterons
encore un peu. Nous touchons terre, monde plus austère, même au paradis
de Paraty. Hier, dans notre partie de jambes en l'air sur le toboggan
naturel, nous nous sommes fait dévorer par des dizaines de vampires
lilliputiens, et si Martine, astucieuse, croisa les bras en forme de
crucifix, rien n'y fit, les vampires s'enfuirent, gorgés de notre sang,
laissant sur nos jambes nues des dizaines d'empreintes de leurs canines
venimeuses. Les deux plongées nous ont fouetté les quelques litres de
sang miraculeusement sauvés par Martine et son ingénieux crucifix. Ca
fourmille de partout. Nous trouvons l'apaisement avec une crème anesthésiante.
La chimie plus forte que la religion ? Sur le petit port de Paraty,
nous sommes maintenant tranquillement installés à la terrasse d'un resto
très mignon, devant l'église portugaise, sirotant la pinga locale, tendant
l'oreille aux gratouillis de cordes et à la voix mélodieuse de Ronaldo,
tout heureux d'avoir ce soir dans son public deux jeunes un peu plus
ceci et un peu moins cela que les tronches blasées de fin de saison.
Ses trois années de vie toulousaine entre Pastis et pétanque lui rappellent
quelques airs de notre hexagone, mais sur ces portées musicales, point
de noires ni de blanches, seulement des jaunes, orange et rouges qui
réchauffent les rythmes tristes de Brel et Cabrel. Voyageur invétéré,
saltimbanque du XXème siècle, ambassadeur nomade de sa musique de sang,
un jour, de passage à Paraty, il prit femme et lui fit trois fois le
gros ventre. Elle lui chantait " Ne me quitte pas " et lui se disait
bien des choses contradictoires en regardant avec nostalgie le large
et ces nuages sombres qui chaque jour partaient pour un long voyage
transatlantique. Mais sa petite femme a apprivoisé
le nomade. Désormais, elle ne sort plus de sa mémoire, ni la nuit, ni
le jour, alors il sait que tout cela est fini, qu'il ne voyagera plus
comme avant, cela était écrit, et que tout cela va dans le sens de son
histoire, alors il sourit, se sent pousser des ailes magnifiques pour
jouer une samba d'une légèreté paradisiaque qui nous envoûte totalement.
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