" Voyage de Noces ". L'inscription qui s'étale en lettres de feu sur le bandeau de cette page titille et réveille déjà au plus profond de vos hémisphères romantiques, quelque vieux stéréotype suranné. Ouvrons sans plus attendre le dictionnaire et vérifions ensemble, mot par mot, la définition que nous en donnent les petits hommes verts cacochymes de notre Académie Française. 1er mot, " Voyage " : n.m (lat. viaticum, argent pour le voyage). Action de se rendre ou d'être transporté en un autre lieu. 2ème mot, " De " : Préposition. (lat. de, en séparant de).Introduisant un complément d'objet indirect ou secondaire. 3ème mot, " Noces " : n.f. (lat. nuptiae). Festin et réjouissances qui accompagnent un mariage. Jarnicoton ! Scrounch scrounch ! Quelle triste définition ! Et pourtant…Voyage… Dans ma caboche de citoyen sclérosé et casanier résonnent les tam-tams de lourdes et fantastiques destinées, celles de ces aventuriers de l'exploration, ces hommes hors du commun qui découvraient les arcanes du monde. L'histoire, cette bienheureuse hérédité qui jaunit sur nos bibliothèques, ouvre les portes immenses du souvenir. Je pense souvent au cher Docteur Livingstone tenant son journal de fortune sur les rives du Zambèze, à Charles Darwin heureux comme un pinson sous la grand-voile du Beagle, à Magellan reliant enfin les vastes mers océanes via ce détroit septentrional de tierra del fuego, à Vasco de Gama doublant le cap de Bonne-Espérance et découvrant pour les Portugais cette longue route des Indes par l'est, au génois Colomb navigant vers l'ouest jusqu'aux Bahamas, ses Indes à lui, à Ptolémée, Speke, Grant, Baker et Stanley qui contribuèrent à la découverte des multiples sources du Nil, à Marco Polo l'invité permanent à la cour du grand Khan, mais aussi à mon arrière-grand-oncle Marcellin Le Mercier, évangélisateur prosélyte de centaines de paysans chinois, au bout du monde entier, là-haut, dans les lointaines montagnes parfumées du Yunnan. Las ! Le dictionnaire nous lasse. Viaticum ! Il nous parle d'argent alors que l'on recherche du rêve. Peut-être faudra-t-il un jour rédiger sur ce sujet une définition plus élargie, moins galvaudée et plus sensuelle. Bien sûr, aujourd'hui, le voyage est une aventure moins hardie qu'autrefois, moins sélective. Je reste cependant persuadé qu'il doit obéir à certains fondamentaux. Prenons un exemple. Imaginons que tout à l'heure, là, en revenant tranquillement, ma baguette sous le bras, de chez Josianne, la boulangère bio de la rue principale, je me décide enfin à bifurquer dans la via Negro, une ruelle joliment arborée, aux ombres mystérieuses, une ruelle à contre-jour, olfactive, aux vieux murs attentifs, une ruelle observée par les yeux fiers de ses propriétaires, quelques indigènes séculaires qui ont hérité de sa longue histoire et de son tempérament. Imaginons... car cela fait des mois que je passe mon chemin, le regard oblique et la pupille dilatée, scrutant les tréfonds de cet axe ombragé, espérant trouver quelque clé secrète qui m'en ouvre les portes. Cette ruelle a une âme, une force, quelque chose qui attire et fait peur. Brrrrr… Je ressens, je vous jure, une stupide angoisse à l'idée d'y pénétrer seul, comme s'il m'était difficile de prendre une route sans en connaître l'issue. Et pourtant ce n'est qu'une ruelle, une petite misère de chemin citadin, un petit monde dans le vaste monde. Allez basta ! Changement de marée. Je ne lutte plus. Le flot des émotions me pousse dans la ruelle. C'est étrange... les microscopiques paranoïas de mon quotidien s'évanouissent sous mon pas assuré. La via Negro m'accueille en son sein. Contact charnel. J'ai l'épiderme transpercé de chaudes sensations électriques. Et mes yeux voient. Ils voient une étrange maison, à l'angle, une maison carrée et très ajourée semblable à un vieux pigeonnier vénitien. A ses pieds, une vieille femme à la tête un peu chaude bredouille une incompréhensible litanie de récriminations sur le zèle excessif d'un commerçant auvergnat. Son accent est étrange, amusant. Un Labrador en liberté aboie sous une fenêtre drapée de bien curieux rideaux. Sent-il comme moi cette forte odeur de fromages ? D'où cela peut-il venir ? Je ne distingue pas bien le contour des choses ; les platanes magnifiques, larges et feuillus, obstruent la vue. Soudain devant mes yeux, le plus bel étal fromager qu'un amateur éclairé puisse imaginer. Une mine de lait cru à faire rougir toutes les salles blanches de notre stérile industrie. Un trésor à partager d'urgence. Une femme, la fromagère, m'accueille chaleureusement. Je me sens vraiment bien ici. Inutile d'en dire plus. La vérité se niche dans un silence aux parfums de douces moisissures. La commerçante, petite pie adorable, me conseille chaleureusement et longuement. Je ressors de sa boutique avec dans la tête une petite musique de tam-tam, une musique semblable à celle qui autrefois résonnait dans l'âme des grands découvreurs. C'est sûrement cela le voyage. Un petit pas de côté, et hop ! D'autres hommes et femmes, d'autres odeurs, des bruits inconnus, une faune, une flore nouvelle, une sensibilité d'enfant, un retour aux émotions naturelles. Abandonnons ces digressions métaphoriques et venons en à cette fameuse journée du 10 juillet, date à laquelle fut célébré, en la mairie du Xème arrondissement de Paris, le mariage heureux de Martine Mérieux, ici présente, et Olivier Le Mercier, son tendre et cher époux. Ce jour là, en prononçant devant l'adjoint enrubanné un " oui " solennel, nous fîmes un grand pas de côté. Et hop ! Un autre homme, moi, une autre femme, elle, une autre odeur, la sienne, la mienne, d'autres paroles et d'autres écrits, un nouveau fleuve d'émotions. Pour la vie. L'idée traditionnelle du voyage de noces ne nous enchantait guère. Une semaine à Prague, Venise ou sous les palmiers ne correspondait plus vraiment à notre idée du voyage. Nous souhaitions cependant interrompre le rythme un peu fou de notre quotidien. Mais les jours passaient et les noces de juillet dérivaient lentement, par vagues neuronales, jusqu'à cette zone indestructible que l'on préserve tous, celle des doux souvenirs. Dans l'hémisphère caché des pensées inconscientes, une solution adaptée à nos désirs refoulés se construisait peu à peu, une solution qui ne tarderait plus à nous propulser à la découverte d'un p'tit coin d'ailleurs, au fond du monde et de nous-mêmes. |
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