Changer de pays

Caracas, la ville lumière. Je suis certainement le premier à utiliser ces mots quelque peu flatteurs pour qualifier la peu glorieuse capitale du Venezuela. Mais, ce 27 Juillet, comme la nuit tombe sur les Caraïbes, il y a de l'électricité dans l'air. Pour le moins. Une heure plus tôt, nous survolions les Andes à 33000 pieds. Deux colombiens charmants, chemise et pantalon blanc, terminaient à mes côtés une collation dînette servie à tous les passagers de ce vol Avianca. Comme frappé par une ligne à haute tension, l'avion se mit à trembler violemment puis sombra dans un trou d'air sous les hurrahs des caïds et les plaintes suraiguës des hystériques. La bière, dans mon verre, s'étira en un long filament jusqu'au plafond, se recroquevilla en boule (voir photo du phénomène dans " On a marché sur la lune " de Hergé), puis après quelques oscillations hésitantes retomba en pluie houblonesque, non pas dans le verre, ce qui eut été miraculeux, mais sur le fauteuil de mon voisin, lequel constatait amèrement que sa boule de vin rouge venait de les décorer, lui et sa femme immaculée, du maillot à pois rouges de meilleur grimpeur. Mon flanc au café est à terre au milieu d'une allée centrale dévastée. Vin, bière et cognac gouttent du plafond écarlate, les hôtesses redressent leur jupe malmenée, et le témoin qui nous ordonnait de la boucler s'éteint enfin. Caracas, la ville lumière. Nous y sommes ou presque. L'airport est sur la mer, la ville mille mètres plus haut, dans la montagne. L'ambiance est très électrique. Les taxis nous demandent 200 francs pour rejoindre le centre ville. Ils se foutent de nous. On opte pour le bus mais le chauffeur dont les fusibles ne supportent pas la température ambiante, maltraite malgré nos conseils multiples, un sac rempli de fragiles souvenirs. Echange d'invectives particulièrement brillantes. Quand il commence à réviser ma généalogie et à décrire, le bougre, mon ascendance de manière peu courtoise, nous en venons presque aux mains. Retour aux taxis qui, pour conclure cet intermède discourtois, divisent leur prix par deux. On file enfin vers la ville. La nuit est tombée sur Caracas. Les collines et montagnes qui entourent la ville brillent de mille feux. Joli spectacle, vraiment, qui fait illusion, car ces lumières sont celles de la gent miséreuse rejetée dans la périphérie urbaine. Le taxi nous jette dans un hôtel pouilleux cerné d'avenues bruyantes. Le personnel est très antipathique. Les prix abusifs. Dès le lendemain nous recherchons le paradis où terminer paisiblement cette aventure. Nous ne souhaitons plus trop bouger. Nous n'étions que d'éphémères nomades. Nous ne pensons plus qu'à nous brûler le cuir de chaud soleil et d'eau salée. Avec un peu de chance, taquiner les dauphins sur leur terrain de jeu. Chimères ! ! ! Les îles de Las Roques sont hors de prix pour nos bourses mises à sac par sept mois de vadrouille. Nous filons donc sur la côte à l'Est de la capitale. Il m'est ensuite pénible de conter les quatre jours qui suivent, humainement lénifiants. Succession de rencontres désagréables. L'antipathie est un fléau terrible sur cette portion côtière, pathologie qui génère nombre de troubles de la parole. Des mots simples s'il en est comme " merci ", " bonjour ", " bonsoir ", disparaissent du langage. Catastrophe culturelle, épurement linguistique dramatique. Les palmiers, le sable rouge, la centaine de dauphins qui batifolent devant nous ce 29 Juillet ne changent plus rien à l'affaire. La côte vénézuélienne ne nous séduit plus. La montagne nous rappelle.
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